Atlantico : Comment se fait-il qu’une telle situation soit possible dans le système actuel ?
Gérald Pandelon : Quel est le contexte ? Geneviève Legay, porte-parole d’Attac dans les Alpes-Maritimes, avait fait une chute au mois de mars dernier lors de la dispersion d’une manifestation de « Gilets jaunes » place Garibaldi, à Nice, dans un périmètre interdit à toute manifestation. Si le procureur de la République s’est contenté de dire qu’il avait dédouané les forces de l’ordre uniquement pour ne pas déplaire au président de la République, il s’agit à mon sens d’une maladresse. En même temps, qu’est-ce que le parquet sinon un corps de magistrats assujettis à l’exécutif ? Qu’est-ce que, en effet, le ministère public ? Chacun sait pertinemment qu’en France, le parquet est sous la hiérarchie du pouvoir politique par le biais du garde des sceaux, ministre de la justice et de la direction des affaires criminelles et des grâces. Or, qui nomme le Garde des sceaux ? C’est le président de la République, sous la Vème République (depuis 1958), sur proposition du premier ministre.
Le procureur de la République, par sa maladresse, n’a fait que révéler l’essence du parquet, ni plus ni moins. Un parquet qui, contrairement au siège, n’est pas constitué de magistrats indépendants mais étroitement dépendants du politique. Toutefois, même si la dépendance, du ministère public à l’exécutif constitue un secret de Polichinelle, le procureur aurait été mieux inspiré de répéter que les preuves soumises à son appréciation ne lui permettait pas d’asseoir une réelle conviction sur les faits; c’est d’ailleurs ce qu’il avait indiqué au début de cette affaire en expliquant qu’après examen des témoignages et du visionnage des caméras, il n’avait pas existé de contact direct entre la victime et les policiers.
Guillaume Jeanson : Ce propos est malheureux. Et c’est bien peu de le dire. Il témoigne en effet d’une triste conception de la Justice. Le procureur devrait uniquement chercher à servir la vérité de l’affaire qu’il a eu l’honneur de se voir confier. Il ne devrait jamais songer à plaire aux puissants dont il semble avoir cru espérer, à tort ou à raison, pouvoir attendre quelques retours gratifiants. Inutile pour autant de jouer les naïfs : que certains magistrats aient fait carrière en soignant l’exécutif, c’est un mystère pour personne. Mais cette justification du procureur de Nice à sa hiérarchie ne peut que creuser davantage la défiance de nombreux français pour leur justice. Les magistrats ne devraient jamais oublier d’observer le plus largement possible, y compris lorsqu’ils mènent leurs enquêtes, une immense prudence. Pour citer un adage du droit anglo-saxon repris depuis par la CEDH, « la justice ne doit pas seulement être dite, elle doit également donner le sentiment qu’elle a été bien rendue ». Or, comment peut-on imaginer qu’elle puisse l’être ou même donner ce sentiment si, comme l’écrit le journal Le Monde, le magistrat chargé de l’enquête a surtout veillé à « éviter de mettre le président de la République en difficulté » ?
Comme vous, nous le déplorons en le constatant : cette situation est hélas possible. Chercher sa cause pourrait certes nous conduire à évoquer le lien structurel qui existe entre le parquet et l’exécutif, mais ce serait alors oublier un peu vite une autre réalité : le fait d’être statutairement indépendant et inamovible ne protège sans doute pas non plus complètement les autres magistrats, ceux du siège, d’éprouver un jour la tentation de satisfaire leur hiérarchie, qui, elle-même, pourrait avoir un jour à chercher les bonnes grâces de l’exécutif. A quelle fin ? Par exemple dans l’espoir d’une meilleure notation et donc d’un meilleur avancement. Comment ? Par exemple, en infléchissant certaines de leurs décisions qu’ils savent suivies en haut lieu. Il ne s’agit bien évidemment pas de jeter ici l’opprobre sur la magistrature dont la grande majorité des membres officie bien sûr d’une manière qui rend honneur à ce corps. Il s’agit simplement de pointer le fait qu’il est probablement illusoire d’imaginer que les seules garanties d’un « système » peuvent assurer, en elles-mêmes, l’éthique de ceux qui opèrent en son sein. Ce qui, a minima, repose alors, en amont, la question de la sélection des futurs magistrats et, en aval, celle de leur formation.
Espérons bien sûr que la décision de dépaysement (qui constitue justement l’une des garanties offertes par le système judiciaire) intervenue au profit d’un juge d’instruction Lyonnais, permettra enfin de reprendre cette enquête avec davantage de sérieux et de sérénité. Une enquête qui -à en croire tant Mediapart, que l’avocat général près la Cour de cassation qui rendait sa décision le 10 juillet dernier- avait d’abord été confiée « à la sûreté départementale alors que la cheffe de ce service avait elle-même participé à l’opération de maintien de l’ordre dans le périmètre où Geneviève Legay a été bousculée et était la compagne du commissaire chargé du commandement de cette opération ». Pas franchement de quoi dissiper les quelques doutes que pouvaient déjà instiller le fait d’entendre Geneviève Legay confier à l’AFP la façon dont, aux premiers instants de l’enquête, « les policiers (auraient) insisté pour (lui) faire dire que c’était un journaliste qui [l]’avait poussée. ». L’AFP qui, pour mémoire, avait aussi recueilli le témoignage d’un policier (corroboré par une note émanant de la direction de la gendarmerie révélée par Mediapart), suivant lequel les gendarmes ont refusé de charger, contrairement aux policiers. Un refus justifié justement par un motif dérangeant lorsque l’on connait la suite tragique de cette histoire : « Ordres reçus disproportionnés face à la menace (foule calme) »