Extrait de l’entretien de Me Guillaume Jeanson dans le FigaroVox
FIGAROVOX.- Des images, très marquantes, de policiers molestant des pompiers en tenue, ont beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. Comment en est-on arrivé là?
Guillaume JEANSON.- Cette journée de mobilisation s’inscrit dans le prolongement d’un mouvement de grève initié en juin dernier. Un mouvement assez suivi selon les syndicats mais qui n’a pas, semble-t-il, entraîné pour autant de perturbations majeures. Pourquoi? Sans doute parce qu’outre leur astreinte à un service minimum, les pompiers sont peu enclins à utiliser, sinon symboliquement, comme a pu l’écrire en octobre dernier l’économiste Jacques Bichot, le «grand pouvoir de nuisance» dont ils disposent «parce qu’ils ont très majoritairement le sens du devoir, et qu’ils savent à quoi ils servent».
Le sens du devoir de ces hommes qui ne rechignent jamais à risquer leur vie pour sauver celle des autres (plus d’une centaine de décès survenus en service commandé sur ces dix dernières années et dont l’un des derniers drames tragiques était la mort de deux pompiers l’année dernière dans une explosion accidentelle due au gaz dans un immeuble de la rue Trévise, dans le 9ème arrondissement de Paris) explique légitimement le profond respect et l’attachement qu’éprouve la population envers eux. Il participe donc de l’émotion qui s’est emparée hier des réseaux sociaux. Une émotion qui fait d’ailleurs écho à celle du 15 octobre dernier, lors d’une précédente manifestation dont les heurts avec les policiers avaient justement conduit certains pompiers manifestants d’hier à porter leur casque et leur tenue de feu. Une attitude d’ailleurs vertement critiquée par la préfecture de Paris qui y a vu un manquement aux «engagements» pris par les syndicats avant le défilé.
Les images d’affrontement très marquantes auxquelles vous faites référence semblent correspondre au moment où, après l’arrivée place de la Nation du cortège pacifique des pompiers chantant la Marseillaise, certains manifestants cherchant à bloquer le périphérique ont tenté de forcer un barrage métallique de police, ce qui a entraîné une action vigoureuse des forces de l’ordre appuyée de canons à eau, gaz lacrymogène et grenades assourdissantes. Un affrontement qui a blessé plusieurs manifestants aux jambes par des éclats de grenade et donné lieu à deux interpellations de manifestants.
Les pompiers, comme de nombreux autres agents de l’État ces derniers mois, ont réclamé de meilleures conditions de travail et davantage de reconnaissance. Ils ont été écoutés, puisque Christophe Castaner a annoncé une revalorisation de la «prime de feu». Du reste les policiers ont eux aussi manifesté plusieurs fois leur mécontentement… Leur sentiment d’avoir été abandonnés par l’État est-il légitime?
Vous avez raison, le gouvernement s’est notamment engagé à revaloriser dès l’été prochain la prime de feu, la passant à 25% du salaire de base, contre 19% actuellement. Il se serait aussi engagé à préserver les mécanismes permettant aux pompiers de partir en retraite anticipée en échange de cotisations supplémentaires. Ces engagements semblent en tout cas suffisamment importants aux yeux de l’intersyndicale qui a consécutivement décidé de suspendre le mouvement et d’appeler à l’arrêt de la grève et à la reprise normale du travail à partir du 1er février prochain.
Mais derrière ces revalorisations statutaires, le ministre de l’Intérieur s’est engagé, de façon plus symptomatique, à mener une «lutte contre les agressions envers les sapeurs-pompiers», envisageant même la création d’un «observatoire national»… Une dernière promesse qui en laissera plus d’un sur sa faim. Le mois dernier, devant la profanation honteuse du cimetière juif de Westhoffen, le ministre avait déjà annoncé la création d’un «Office national de lutte contre la haine». Autant de structures nouvelles qui, je l’espère, ne serviront pas seulement de paravents médiatiques à une inertie blâmable du pouvoir. Et une annonce d’autant plus étonnante que, justement ces jours-ci, est supprimé l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale. N’est-ce pas là une version technocratique du fameux «déshabiller Pierre pour habiller Paul»?
Les agressions contre les pompiers qui ont triplé en 10 ans.