Tribune

Libération de milliers de détenus : pourquoi cette décision risque d’aggraver la situation sécuritaire et sanitaire du pays

Me Guillaume Jeanson, porte-parole de l'institut pour la Justice, réagit dans une tribune pour le FigaroVox à l'annonce de la garde de Sceaux de libérer 5.000 détenus pour désengorger les prisons françaises et faire face à la pandémie du Covid-19. Il explique en quoi «les autorités ne disposent même pas des moyens pour surveiller ceux qui sortiront».

Publication
6 avril 2020
Durée de lecture
1 minute
Média
FigaroVox

Extrait de la tribune de Me Guillaume Jeanson dans le FigaroVox :

Inutile de contester la gravité de la crise sanitaire à laquelle le gouvernement fait face actuellement. Inutile de minimiser non plus la difficulté qu’il y a pour lui à gérer de front l’ensemble des répercussions sociales, économiques et sécuritaires de cette crise mondiale dont l’ampleur est inédite. L’unité et le soutien sont, à ces égards, de mise. Ce soutien que nous entendons apporter ne doit toutefois pas nous interdire d’alerter sur les conséquences néfastes d’une décision qui, bien que présentée comme un remède, pourrait cependant se révéler bien pire que le mal qu’il prétend soigner.

Lundi, la garde des Sceaux Nicole Belloubet a annoncé aux organisations syndicales du ministère de la Justice qu’elle visait la libération de 5.000 détenus pour désengorger les prisons en cas de propagation du coronavirus. À la fin de la semaine précédente, la garde des Sceaux avait déjà ouvert la voie à la libération anticipée de détenus malades ainsi que d’autres en fin de peine. Aujourd’hui, c’est au tour de Michelle Bachelet, haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, d’appeler à la libération urgente des détenus à travers le monde pour éviter des «ravages» dans «les prisons surpeuplées».

Que dire de l’ordre pris par un directeur d’établissement pénitentiaire d’interdire à ses agents de porter des équipements de protection pour contrer l’épidémie ?

Rappelons au préalable une évidence: il appartient évidemment aux pouvoirs publics de prendre tous les moyens utiles pour protéger la vie et la santé des détenus dont ils ont la charge. Les tergiversations quant à la mise en place de tests de dépistage du Covid-19 à grande échelle pour la population sont encore moins compréhensibles au sujet de la population carcérale, détenus et personnels pénitentiaires compris. Si le manque de moyens de protection affectés aux policiers et gendarmes dans l’exercice de leurs missions de contrôles des mesures de confinement apparaît déjà difficilement défendable, que dire de l’ordre pris récemment par un directeur d’établissement pénitentiaire d’interdire formellement à ses agents de porter des équipements de protection pour contrer l’épidémie du Coronavirus?

Selon un bilan du ministère de la Justice, cinq détenus auraient été testés positifs au Covid-19 et à l’heure où ces lignes sont écrites, le seul décès à déplorer derrière les murs, aussi tragique soit-il, demeure celui d’un détenu âgé de 74 ans souffrant d’un très grave diabète qui serait décédé à l’hôpital de la prison de Fresnes sans entrer en contact avec d’autres détenus.

Si, du moins telle qu’elle est aujourd’hui exposée, la situation sanitaire des 70.651 détenus actuels ne semble donc pas encore gravissime, elle requiert en revanche sans plus attendre des actions concrètes témoignant de la plus grande vigilance: a minima, une généralisation des dépistages et une identification des détenus physiquement à risque en amont. Puis, si nécessaire, des réaffectations en aval. À défaut, nous assisterons à une floraison vénéneuse de clusters qui deviendront rapidement incontrôlables et dont les conséquences pourront être tragiques. Il est en effet inquiétant et inadmissible d’apprendre que, mardi, un détenu du centre pénitentiaire d’Aiton fraîchement rentré de permission de sortie, a pu être finalement testé positif au Covid-19, alors que, travaillant pour la prison comme auxiliaire d’étage, il distribuait les repas avec l’aide des surveillants et côtoyait ainsi de nombreux détenus et membres du personnel.

Ironie de l’histoire ou coïncidence troublante, l’annonce de cette libération à venir est intervenue la veille de l’entrée en vigueur de la grande réforme des peines d’Emmanuel Macron.

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