«Posez vos armes, je suis là pour Allah. De toute façon, il va y avoir des morts». Deux phrases. Deux phrases lapidaires et sinistres, prononcées par Ziyed Ben Belgacem, samedi matin à Orly-Sud quelques minutes avant d’être abattu. Deux phrases programmatiques qui résument, à elles-seules, l’état dans lequel ce terrorisme aveugle s’est promis de plonger notre pays.
Les services de renseignement savent bien que la période actuelle d’élection présidentielle se prête parfaitement à un regain d’actions terroristes ambitieuses. Ils se doutent que d’aucuns, tapis dans l’ombre cryptée des messageries protégées, affûtent ces jours-ci de quoi déstabiliser en profondeur l’orientation du vote des derniers indécis.
Après Nice, Valence et Paris, l’attaque d’Orly est la quatrième perpétrée contre des militaires depuis l’attentat de Charlie Hebdo. Elle intervient un mois et demi seulement après celle du Louvre. Un drame dont l’issue contenue a néanmoins permis d’éviter, une nouvelle fois de justesse, une véritable tuerie de masse.
Le professionnalisme de la force sentinelle, dont l’ampleur du déploiement avait naguère pu être critiqué par la représentation nationale, mérite ici d’être salué. Car des premiers éléments de l’enquête sur ce que François Molins, Procureur de la République de Paris, qualifie de «parcours violent et destructeur», il ressort que Ziyed Ben Belgacem avait la gâchette facile.
Il ressort également que le passé judiciaire de celui qui était connu sous au moins cinq alias -une caractéristique de ceux navigant dans les eaux troubles du banditisme- était conséquent: neufs condamnations successives pour des faits de braquage, trafics de stupéfiants et vols avec effraction, dont une comparution devant les assises à 22 ans. Et, comme si cela ne suffisait pas, depuis sa libération de détention provisoire en septembre dernier dans le cadre d’une autre affaire en cours d’instruction, Ziyed Ben Belgacem faisait l’objet d’un contrôle judiciaire assorti d’une interdiction de quitter le territoire.
L’enquête révèle que ce solide terreau délinquant devait encore offrir le ferment d’une radicalisation islamique. C’est en effet lors de sa détention aux maisons d’arrêt d’Osny puis de Liancourt que des signes de plus en plus visibles de sa radicalisation religieuse avaient alerté les autorités. Pour autant, Ziyed Ben Belgacem n’était pas fiché S, la perquisition administrative réalisée à son domicilie en 2015 dans le cadre de l’état d’urgence s’étant révélée infructueuse. Connu en revanche pour ses trafics de stupéfiants, il était fiché J. Et sur sa fiche, il était considéré comme étant à l’étranger.
Qu’en faut-il penser?
Tant que l’enquête est en cours, il est évidemment préférable de se garder de toutes conclusions hâtives. Certes le fil impulsif qui irrigue les pérégrinations de Ziyed Ben Belgacem, le résultat positif de ses analyses toxicologiques et les réactions dénégatrices de ses proches pourraient inciter à une certaine lecture des faits. Une lecture éloignée de tout plan concerté et de toute action coordonnée. Gardons-nous cependant d’oublier par trop vite l’une des leçons tirées de l’attentat de Nice: il arrive parfois que celui, si promptement qualifié par les médias de «loup solitaire», ne chasse en réalité pas si loin de sa meute.
Cette nouvelle affaire présente surtout un inquiétant goût de déjà-vu.
On pense d’abord à tous ces terroristes islamistes issus de la délinquance de droit commun. A ce phénomène «d’islamisation de la radicalité» cher au politologue Olivier Roy. Un phénomène dont les conséquences, prédites par Hugues Moutouh, quant aux faibles résultats à attendre du côté de la déradicalisation ne manquent pas d’inquiéter.
On pense ensuite aux propos tenus il y a quelques jours seulement par Jean-Jacques Urvoas, l’actuel garde des Sceaux: «en un an, le nombre de personnes mises en examen ou condamnées dans des affaires en lien avec le terrorisme a augmenté de plus de 50%».
On pense enfin au fait que si tous les délinquants ne deviennent pas terroristes, la plupart des délinquants devenus terroristes a commencé par bénéficier de la clémence du système actuel, sans que celui-ci ne parvienne à les dévier de leur trajectoire criminelle.
Un sondage Ifop-Fiducial pour Public Sénat et Sud Radio publié ce mois-ci révèle que plus de sept personnes interrogées sur dix ont «le sentiment que l’insécurité s’est dégradée depuis 2012». Presque la moitié d’entre elles affirment même qu’elle s’est «beaucoup dégradée». D’après l’institut de sondage, «ce sentiment de dégradation s’expliquerait par une insatisfaction généralisée concernant la prise en charge de l’enjeu sécuritaire dans le pays». 59% des personnes interrogées déclarent ne se sentir en sécurité nulle part. En matière de terrorisme, ce sont 93% des Français qui évaluent la menace terroriste comme élevée.
En matière de sécurité, l’attente est donc importante et ce sondage montre que cette préoccupation pèsera de manière considérable dans le vote des personnes sondées.
Comment expliquer dès lors que, chez de trop nombreux candidats à l’élection présidentielle, ces questions semblent délaissées?
Ce même sondage met en évidence le fait que 69% des Français jugent les effectifs de police et de gendarmerie en sous-effectifs dans le pays. «Cette opinion a d’ailleurs d’autant plus de résonance que les interviewés expriment majoritairement une bonne image de leurs forces de l’ordre (90% pour la Gendarmerie, 84% pour la Police nationale et 73% pour la Police municipale).»
Et pourtant, loin de cette bonne image, certaines mobilisations telles que «la marche pour la justice et la dignité» du 19 mars dernier se faisant fort de dénoncer les violences policières, en réunissant 7000 personnes entre Nation et République, et tout en se terminant dans des heurts, étonnent par l’attention disproportionnée que leur accorde la presse.
Elles étonnent encore davantage par la bienveillance suspecte que semble leur témoigner, en plein état d’urgence, un pouvoir en fin de règne.