Extrait de l’interview de Me Guillaume Jeanson dans Atlantico :
La radicalisation tire son origine de multiples facteurs dont l’un des principaux est la rupture entre certains quartiers sensibles et le reste de la population. Vouloir déradicaliser les extrémistes, n’est-ce pas traiter le symptôme et non la cause ?
En réalité, c’est toute l’épineuse question des véritables objectifs poursuivis par cette démarche ambitieuse qu’est la déradicalisation. Comme le précise le sociologue Gérald Bronner qui a beaucoup travaillé sur la question de la pensée extrême, « Le fondamentaliste, contrairement au terroriste, est (…) un extrémiste qui refuse de s’abandonner au potentiel agonistique de sa vision du monde. » A quoi devrait donc servir la déradicalisation ? S’agit-il de les « soigner » de leur extrémisme ou de se contenter de s’assurer qu’ils n’en tireront aucune conséquence violente ? Le psychanalyste Thomas Bouvatier dans son Petit manuel de contre-radicalisation s’inquiète à raison sur les ambitions limitées des politiques : « Quand un gouvernement propose à un jihadiste revenu de Daech de troquer l’Etat islamique contre les Frères musulmans, qui semblent très tolérants comparés à ceux qui commettent des atrocités au nom d’Allah, il finit par promouvoir un système déjà bien implanté qui cherche à terme à renverser ce même gouvernement. On donne un pouvoir colossal et officiel à ceux qui poursuivent le même but que les radicalisés militaires : la soumission de l’humanité à la charia. Comment cette perspective serait-elle d’utilité publique ? Autant soutenir le fascisme pour circonscrire le nazisme. » A le lire cet écueil n’a rien de théorique. Le Royaume-Uni en a d’ailleurs fait les frais à l’occasion de la seconde vague du terrorisme islamiste des années 2000 : « Beaucoup d’Etats occidentaux sont tentés par l’idée de rediriger les jihadistes vers un groupe tout aussi fusionnel mais moins dangereux : les islamistes et les salafistes non guerriers. (…) Après les attentats de Londres en 2005, le Royaume-Uni a adopté cette méthode. Le Premier ministre Tony Blair a fait appel à Tariq Ramadan, citoyen suisse petit-fils du fondateur des Frères musulmans, pour représenter les musulmans britanniques et proposer des pistes de déradicalisation. Il a fallu deux ans pour que le gouvernement comprenne son erreur de casting et remercie Ramadan – avant que l’université de Rotterdam ne le dédommage en lui offrant une chaire. »
S’assurer qu’ils n’en tireront aucune conséquence violente ne peut pas être, on l’aura compris, le seul objectif. Sauf à s’inscrire à moyen terme dans une logique résolument perdante pour le mode de vie occidental que nous prétendons défendre. Mais alors faut-il viser la promotion d’une forme d’« islamisme modéré » ? A en croire, Thomas Bouvatier, cela semble plus utopique encore… « On ne peut pas dire qu’il existe un islamisme modéré, car l’islamisme est par essence radical. Il est par essence un retour obsessionnel aux racines. Un radical méprise la modération au même titre que la ratio, la « mesure ». » Ce qu’il faut pour lui c’est donc « viser moins d’absolu, accepter le manque, accueillir le complexe, mûrir… S’autonomiser davantage, telle est la voie pour qui veut se déradicaliser». Pour le psychiatre Daniel Zagury, « ce qui est en jeu dans le mouvement de détachement, de deuil de la croyance, c’est la souffrance et les conflits irrésolus qu’elle a eus pour fonction de colmater et d’apaiser. » Cette lecture est certes très intéressante mais l’on comprend vite aussi pourquoi le chemin à emprunter promet d’être escarpé : « Quitter l’horizon héroïque du sacrifice pour redevenir ce qu’ils étaient ? », comme l’écrit l’expert psychiatre, « Sans doute leur faudra-t-il découvrir, pour l’accepter, qu’il y a en eux une vitalité psychique et une valeur qui méritent autre chose que la mort. »