Entretien

Ce que révèle l’expulsion de Djamel Beghal

Me Guillaume Jeanson, porte-parole de l'Institut pour la Justice, est interrogé par le FigaroVox sur les conditions de l'expulsion du terroriste islamiste Djamel Beghal vers l'Algérie. Cette mesure est saluée par le porte-parole qui rappelle néanmoins qu'il faut se saisir du problème du nombre très élevé de détenus radicalisés dans les prisons françaises.

Publication
18 juillet 2018
Durée de lecture
2 minutes
Média
FigaroVox

Extrait de l’entretien :

Djamel Beghal, considéré comme le mentor de Chérif Kouachi et d’Amédy Coulibaly, sera expulsé vers l’Algérie puis rejugé par la justice de son pays natal pour terrorisme, après 17 ans d’incarcération. Comment analysez-vous cette décision de l’État français? Est-ce une mesure ponctuelle? Peut-elle faire jurisprudence?

Me Jeanson : Djamel Beghal était le plus vieux détenu islamiste de France. Celui qu’on surnommait le «Ben Laden français» demeure redouté pour son charisme et l’influence qu’on lui prête. Auprès des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly notamment, les assassins de janvier 2015. D’abord en prison, à Fleury-Mérogis, où, bien que placé à l’isolement, il était parvenu à communiquer avec eux, dont la cellule était placée juste en dessous de la sienne. Ensuite à Murat, dans le Cantal, alors qu’il était assigné à résidence à l’hôtel «Les Messageries» et qu’ils étaient venus lui rendre visite. Si l’État français n’était pas parvenu à obtenir l’accord des autorités algériennes, il y serait sans doute retourné. Assigné à résidence. Cette fois, sur le périmètre de la commune toute entière. Cette décision revêt donc une importance considérable et il convient de la saluer. Dire qu’elle fera jurisprudence serait en revanche, compte tenu des nombreuses spécificités de cette affaire, quelque peu audacieux.

Faire preuve de réalisme, ce n’est pas pour autant faire preuve de résignation. L’enjeu est ici la neutralisation du risque terroriste. L’éloignement du territoire français d’un individu tel que Djamel Beghal est certes un moyen d’y parvenir. Mais, n’oublions pas qu’il nous appartient d’en créer d’autres. Surtout pour tous ceux dont l’éloignement s’avérerait impossible. Nous pouvons le faire notamment en révisant le régime d’aménagement de peine des terroristes. Si en 2016 un premier pas a été franchi en excluant ces derniers du bénéfice des crédits de réduction de peines automatiques (amputant pour mémoire la durée de leur peine de trois mois sur la première année et de deux mois les années suivantes), rien n’empêche en effet d’aller plus loin.

Nous pourrions par exemple nous inspirer du régime pénal italien qui prévoit un allongement spécifique de délai au-delà duquel un détenu condamné pour terrorisme peut solliciter une mesure de libération conditionnelle.

On apprend dans le même temps que près de 500 détenus radicalisés comme terroristes islamistes vont sortir de prison dans les années à venir. D’autres expulsions peuvent-elles être mises en œuvre? Est-ce souhaitable?

Me Jeanson : Au mois de juin dernier, on estimait en effet que 10% des 500 détenus condamnés pour terrorisme et un tiers des 1200 à 1300 détenus de droit commun radicalisés allaient être libérés d’ici à la fin de l’année 2019. Le phénomène est donc important et il serait bien sûr souhaitable de mettre en œuvre d’autres expulsions. Mais rappelons que ces mesures ne concernent que les étrangers non-européens qui vivent en France et représentent une menace grave pour l’ordre public. Se posera donc au préalable la question de la déchéance de leur nationalité française éventuelle. Une mesure qui, malgré les variations politiques incessantes de l’automne 2015 sur le thème d’une modification de la constitution, existe pourtant bien dans notre Code civil. Évidemment, des recours sont possibles et des blocages pourront donc subvenir.

Parmi les plus fréquents, certains émaneront de la Cour européenne des droits de l’homme qui compte déjà une jurisprudence bien fournie sur le fondement de l’article 3 de la convention qui prohibe la torture et les traitements inhumains et dégradants. Pour un exemple récent, mentionnons cette condamnation de la France en date du 1er février dernier pour l’expulsion d’un ressortissant algérien qui avait été condamné dans notre pays en 2006 à une peine de sept ans d’emprisonnement pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme et à une peine d’interdiction définitive du territoire français: la Cour avait estimé qu’il risquait des traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Algérie.

En 2016, le pouvoir s’enorgueillissait d’avoir accéléré le rythme des expulsions. Avec une vingtaine d’expulsions à son actif, il avait alors doublé les chiffres par rapport à 2014 et en totalisait ainsi près d’une soixantaine depuis 2012. Même si les chiffres n’ont sans doute pas décru depuis et témoignent des efforts constants fournis par les autorités, il est à craindre néanmoins qu’ils demeurent largement insuffisants pour faire face à l’ampleur de ce phénomène.

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