Entretien

Cours d’appel : l’IPJ interrogé sur la possible réforme de la carte judiciaire

La rumeur annonçant la suppression prochaine de la moitié des cours d’appel a provoqué la vive réaction des professionnels du droit. Atlantico a demandé à l’Institut pour la Justice de partager son analyse de la situation. Me Guillaume Jeanson, porte-parole de l’Institut pour la Justice et avocat au barreau de Paris, souhaite que la priorité du gouvernement soit de donner à la justice les moyens de fonctionner correctement et de protéger efficacement les citoyens.

Publication
7 octobre 2017
Durée de lecture
4 minutes
Média
Atlantico

La difficulté du chantier ouvert sur la justice par le premier ministre, Edouard Philippe, à Nantes est considérable. Carte judiciaire, procédure pénale, numérisation, de nombreux dossiers épineux seront soumis au vote probablement en juillet 2018. Accompagné de sa ministre de la Justice Nicole Belloubet, le Premier Ministre Edouard Philippe a notamment affirmé vouloir conserver le maillage actuel de la carte judiciaire. Quelle est votre sentiment sur cette concession?

Edouard Philippe a probablement voulu adresser un message d’apaisement alors que les critiques sur cette possible réforme s’étaient révélées si vives et soudaines. La levée de boucliers d’une partie importante des professionnels du droit a en effet dû certainement pousser le Premier ministre à se montrer à l’écoute afin de tenter d’apaiser la crainte et la colère suscitées par une rumeur qui prédisait la réduction par deux du nombre de cours d’appel et qui avait notamment entraîné hier la grève des avocats du barreau de Metz.

Il n’est bien sûr pas exclu non plus de penser que l’annonce « officieuse » d’une réforme drastique correspondait en réalité à une stratégie assez classique de communication visant à « préparer » la réception d’un texte officiel un peu moins strict, mais qui serait dès lors perçu comme un compromis. S’il veut éviter de s’exposer à l’opposition virulente rencontrée par Rachida Dati en 2007 lors de la refonte de la carte judiciaire, le gouvernement se doit bien sûr d’être très précautionneux avec une telle réforme dont l’acceptation par les acteurs locaux sera dans tous les cas très difficiles. Pour mémoire, si le nombre de tribunaux d’instance et de police avaient drastiquement chuté, passant de 475 en 2007 à 307 en 2012 (soit une baisse de 35%) les cours d’appel avaient alors quant à elles été épargnées.

On compte aujourd’hui 36 cours d’appel de l’ordre judiciaire. Un chiffre qui demeure assez stable puisqu’on en comptait 35 en 2002 et 33 en 1997. Diviser leur nombre par deux serait donc perçue comme une petite « révolution » et ce alors même que l’activité judiciaire ne diminue pas. Entre 2001 et 2015, les décisions en matière civile et commerciale ont même augmenté de 16%. Les affaires des cours d’appel en cours de traitement ont augmenté de 3%. Le taux d’appel des TGI a cru de près de six points (passant de 15,7% à 21,4%) et les décisions pénales rendues par les juridictions d’appel ont, quant à elle, plus que doublé sur la même période passant de 49.461 à 102.088 décisions.Le seul chiffre qui pourrait aller dans le sens d’une réduction du nombre de cours d’appel serait peut-être la durée de traitement d’une affaire civile. Si en 2001 la moitié des affaires étaient traitées en 15 mois, ce délai est désormais tombé à 11 mois.

Edouard Philippe et la garde des Sceaux Nicole Belloubet ont rencontré une trentaine de magistrats dans le but de simplifier les procédures pénales et civiles. Quelles sont les priorités selon vous?

Poser la question des priorités, c’est accepter de s’arrêter un instant pour observer ce que l’actualité nous révèle de l’état de notre justice et de notre administration. A cet égard, l’effroyable attentat de la gare Saint Charles de Marseille perpétré par celui que d’aucuns ont osé qualifier de « martyr » et qui avait déjà été arrêté à sept reprises sous sept identités différentes renvoie toujours à la même interrogation symptomatique : comment est-ce que cela est sérieusement possible aujourd’hui dans un pays tel que le nôtre ?

L’effroyable stupéfaction devant ce nouveau dysfonctionnement tragique des institutions pose avec une redoutable acuité la question de savoir ce que cet individu faisait libre de ses mouvements en France. Sur ce point, l’enquête judiciaire et celle de l’inspection générale de l’administration livreront certes leurs réponses et bien qu’il soit probable que la simplification des procédures annoncée (guichet unique, dématérialisation, harmonisation des logiciels, amendes forfaitaires…) offrira un désengorgement bienvenu des services qui accélérera le traitement des affaires, je crains que cette modernisation ne suffise hélas pas.

Tout le monde le sait, la menace terroriste sur notre pays est prégnante et, outre la multiplication de scénarii comme celui de Marseille, les autorités tremblent à l’idée de la réussite de ces attaques par le feu toujours plus nombreuses (les bonbonnes de Notre Dame l’année dernière, le TATP de Villejuif en septembre, les bonbonnes de l’immeuble du XVIème arrondissement la semaine dernière et celles des camions de Lafarge avant-hier…). La tension communautaire et sécuritaire devient également étouffante. La Fondation pour l’innovation politique révèle que la violence antisémite en France y est la plus forte d’Europe et l’ONDRP publie ces jours-ci un bilan duquel il ressort que près de la moitié des blessures en mission des agents de la gendarmerie sont la conséquence d’une agression (un taux annuel de 9,8% qui ne cesse d’augmenter depuis 2012). Ces signaux sont très inquiétants et le mélange de ces différentes thématiques se reflète dans les nombreux faits divers imbriquant de plus en plus fréquemment les problématiques du terrorisme, de la radicalisation et de la délinquance de droit commun. Devant ces défis gigantesques, la justice et la pénitentiaire, exsangues, semblent pourtant incapables de protéger efficacement les citoyens. Certes des lois sont votées, à l’instar de celle renforçant la sécurité intérieure (et certains médias en profitent pour pointer avec perfidie un absentéisme chronique de la représentation nationale), mais le drame de Marseille nous montre bien qu’une loi votée qui demeure inappliquée est strictement inutile. La première des priorités, c’est donc de permettre à nouveau l’application des lois, mais surtout celle des peines.

Regardons la pénitentiaire. Avec 100.000 peines de prison ferme en attente d’exécution et plus de 15.000 détenus en surnombre, on peut certes continuer à voter beaucoup de lois, mais il n’est pas certain que cela pourra changer en pratique grand chose. Emmanuel Macron doit donc tenir au plus vite ses engagements de campagne et lancer un plan important et diversifié de construction de places de prison. Bien sûr la prison ne saurait constituer à elle seule la principale réponse pénale et le milieu ouvert mérite donc aussi toute l’attention du gouvernement.

Mais il doit le faire sans angélisme aucun. La Cour des comptes a en effet pu déplorer en 2014 de nombreuses défaillances sur le suivi des condamnés. Ces défaillances qui nuisent hélas à l’utilité et l’efficacité de ces mesures doivent dès lors inciter évidemment à la prudence et au réalisme dans le chantier de simplification que Nicole Belloubet a annoncé hier vouloir ouvrir (un chantier qui devrait notamment prendre la forme d’une consultation des acteurs de terrain qui sera menée -sous la responsabilité du procureur général honoraire Jacques Beaume ainsi que de mon confrère Frank Natali- dans les cours d’appel et qui impliquera également les services de la police nationale, ceux de la gendarmerie et les barreaux). Regardons maintenant la justice. Elle reste pour une trop grande part également « clochardisée ». Cette situation déjà très délicate en pratique est en outre encore aggravée pour les justiciables, par ceux qui s’estiment tenus de la dénoncer. C’est ainsi par exemple que la CGT a cru bon devoir appeler ces jours-ci les fonctionnaires du tribunal de Bobigny à faire grève mardi prochain pour empêcher la tenue des audiences afin de dénoncer la paupérisation de leurs services. La modernisation et la simplification ne pourront pas remplacer un minimum de moyens et l’on peut donc regretter, à cet égard, le manque d’ambition affichée par le projet de loi finance pour 2018.

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