Décryptage

Etats Généraux de la Justice : Pierre-Marie Sève interviewé par Atlantico

L’équilibre entre responsabilité individuelle et intérêt collectif est rompu sans que personne ne cherche à le reconstruire.

Publication
26 octobre 2021
Durée de lecture
2 minutes
Média
Atlantico

Etats Généraux de la Justice

Atlantico : Face aux critiques de plus en plus importantes sur l’inefficacité de la machine judiciaire, le président de la République a décidé de réagir à sa manière. Hier, il a lancé en grande pompes les États généraux de la justice et il promet une « remise à plat totale » de celle-ci en France. On évoque souvent les chantiers consistant à doter la justice de plus de moyens, d’ouvrir l’ENM a plus de de diversité sociologique mais ceux-ci sont rarement entrepris. Y-a-t-il un blocage intellectuel dans cette administration qui la fait penser d’abord penser à l’individuel et non au collectif ?

Pierre-Marie Sève : Ce n’est pas un scoop : la Justice française souffre de très nombreux problèmes. Depuis les années 1970, il y a d’abord et avant tout un problème matériel : le nombre de places de prison est dramatiquement bas. Le taux de criminalité a été multiplié par 6 depuis les années 1960 mais le nombre de places de prison n’a été multiplié que par deux. C’est, pour moi, le chantier essentiel et prioritaire de tout politique qui se veut crédible sur la question de la Justice.

Ensuite, il y a un problème idéologique mais d’abord au niveau politique. Ce sont les politiques, et non les magistrats qui choisissent de limiter le recours à l’emprisonnement. C’est la loi Belloubet de 2018 qui a tout simplement interdit les courtes peines. C’est la loi Dati de 2009 qui demande aux magistrats le recours systématique à l’aménagement des peines de prison de moins de 2 ans.

Il y a ensuite un problème des juges supérieurs : les magistrats des cours supérieures (françaises et européennes) ont pris des décisions scandaleuses et même irresponsables. Par exemple, lorsque le conseil d’Etat et le conseil constitutionnel sacralisent le droit au regroupement familial, c’est pour des raisons politiques et non juridiques et c’est une décision qui nous mène droit à la catastrophe. Ou encore, lorsque la Cour européenne des Droits de l’Homme condamne la Belgique à payer 150 000 € à un terroriste pour l’avoir extradé vers les Etats-Unis, c’est symboliquement scandaleux.

Les juges ordinaires eux, se doivent de suivre ces décisions avec lesquelles ils ne sont pas toujours en accord.

Autre problème impossible à passer sous silence, c’est que la Justice aujourd’hui doit punir et réinsérer deux types de populations : les français nés ou assimilés comme tels, et la criminalité étrangère. Or, les concepts de punitions et de Justice sont éminemment culturels. La Justice d’un Français n’est pas la Justice d’un islandais, encore moins d’un marocain ou d’un afghan. La Justice doit donc développer une double, triple voire quaruple expertise en fonction de la population criminogène qui doit gérer. Et bien souvent, les schémas appris à l’école de la magistrature ne fonctionnent pas avec ces populations culturellement éloignées des nôtres.

Enfin, effectivement, une partie de la magistrature est marquée idéologiquement. Dans la foulée de mai 1968, le Syndicat de la Magistrature, syndicat minoritaire mais extrêmement volubile, est parvenu à faire passer ses thèses dans les écoles de magistrature et dans les facultés de droit. Pour avoir personnellement côtoyé de nombreux étudiants en droit préparant l’ENM, j’ai vu de mes propres yeux à quel point le moule idéologique était prégnant.

Avant de se frotter à la réalité, un grand nombre de magistrats souscrit à des mythes comme : « la prison est l’école du crime », « la délinquance est causée par la pauvreté » etc… Ce n’est que le terrain qui les oblige à un certain pragmatisme.

Ces magistrats idéologues sont parfois tout aussi irresponsables que ceux cités plus haut. Le Tribunal de Grande instance de Bobigny par exemple, où le Syndicat de la Magistrature était longtemps majoritaire, a presque systématiquement évité les peines-planchers alors même qu’elles avaient été votées en toute légitimité par le Parlement sous Nicolas Sarkozy.

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