Tribune

Viry-Châtillon : pour l’IPJ, les règles d’engagement des forces de l’ordre doivent changer

Après l’agression au cocktail Molotov blessant plusieurs policiers à Viry-Châtillon, dont un très grièvement, Guillaume Jeanson, porte-parole de l’Institut pour la Justice, écrit son indignation dans une tribune libre publiée sur le FigaroVox et préconise une évolution des règles d'engagement des forces de l'ordre.

Publication
11 octobre 2016
Durée de lecture
3 minutes
Média
Figarovox

«Ils ont attaqué l’arrière de la voiture, (…) jeté des cocktails Molotov à l’intérieur et (…) tenté de bloquer la sortie du véhicule». Non, cette scène ne s’est pas déroulée en Syrie. Elle s’est déroulée en France, à Viry-Châtillon, samedi dernier en début d’après-midi. À croire que dans l’Essonne, on ne se cache même plus pour tuer les représentants d’une autorité de l’État dont on peine vraiment à prononcer encore le nom.

Brûlé à 30%, cet adjoint de sécurité de 28 ans est plongé dans le coma artificiel, son pronostic vital engagé. Brûlée aux mains et au visage, cette mère de trois enfants, mutée un mois plus tôt depuis la Drôme, est arrêtée trois mois. Avec deux autres de leurs collègues traumatisés, souffrant de fractures et d’ecchymoses, ils ont été violemment attaqués par une quinzaine d’individus armés, aux visages masqués. De leurs véhicules sérigraphiés, il ne reste désormais que deux carcasses carbonisées. Encore des cocktails Molotov. Encore des pavés. Encore ce déchainement violent de haine anti-flic. Mais avec cette fois, une intention plus nette, plus claire, plus affichée de tuer. Alors que les véhicules habités s’embrasaient, les agresseurs auraient délibérément tenté d’en bloquer les portes, délibérément tenté de les brûler vifs.

Pour le sociologue Sébastian Roché, ceci n’est pas un «dérapage». C’est une «violence ciblée». Cette action a été minutieusement préparée et orchestrée. La présence de ces policiers gênait. Alors qu’ils stationnaient depuis plusieurs jours à ce carrefour dit «du fournil», lieu illustre de vols et d’agressions d’automobilistes, sacralisant même pour des apprentis-délinquants une sorte de rite de passage, il était temps de les déloger.

Depuis mai 2015, les autorités avaient décidé de reconquérir ce carrefour. D’abord en réaménageant les lieux: rasant les haies à proximité, réduisant la durée du feu rouge et déplaçant l’arrêt où les agresseurs faisaient mine de guetter leur bus, plutôt que leurs proies. Ensuite, en juchant sur un mât une caméra de «vidéosurveillance» – ou de «vidéoprotection», selon la nove-langue choisie. C’est cette dernière qui devait déclencher l’ire des occupants des lieux, tant ceux qui s’adonnent aux trafics de drogue, ceux qui rongent la Cité voisine de la grande Borne et en consument fatalement la jeunesse, se montrent rétifs à la magie du téléobjectif. Cette caméra devait ainsi, tel un aimant bermudien, attirer à elle toutes sortes de calamités: ciblée tour à tour par un camion benne volé, une scie industrielle et une voiture incendiée, c’est finalement une camionnette «réquisitionnée», faisant office de voiture bélier, qui avait eu raison d’elle, le 24 septembre dernier. La reprise des festivités au plus grand dam des automobilistes n’avait guère alors tardé, jusqu’à ce que le remplacement de cette caméra ne vienne à nouveau siffler la fin de la récré. Ciblée encore, les autorités décidaient d’y envoyer des policiers la protéger, avec le bouquet final que l’on connaît.

Suivant les chiffres officiels, la durée de vie d’une caméra de vidéosurveillance est de 5 à 8 ans. À Viry-Châtillon, elle l’est sans doute un peu moins. Que dire de celle des policiers?

«Le manque d’effectifs a fait qu’on a été obligés d’envoyer des collègues du service général (sur cette mission), pas équipés de tenues ignifugées et pas rompus à l’ultraviolence» déclarait hier Claude Carillo, secrétaire départemental d’Alliance. À force d’accepter, au gré des renoncements et lâchetés politiques, la fixation d’unités CRS en des lieux tels que Calais et Notre Dame des Landes, on se retrouve contraint d’envoyer en première ligne, sur des théâtres urbains sensibles, des personnes inexpérimentées et sous-équipées. Parfois au péril même de leurs vies.

Il ne fait pas bon officier aujourd’hui au sein des forces de l’ordre, tant les actes de violence dont elles sont victimes sont en augmentation. En 2015, 12.608 policiers ont été blessés en service et 5.684 agressions ont été recensées contre des gendarmes. La situation se tend. Sans même évoquer le drame de Magnanville, il suffit de se remémorer les violences qui ont émaillé les manifestations loi travail, au cours desquelles, depuis le boulevard du Montparnasse jusqu’au pont de Valmy, en mai et en septembre déjà, les cocktails Molotov étaient de sortie. Sur ce dernier point, la Chancellerie a réagi, se fendant, le 20 septembre dernier, d’une circulaire dédiée aux violences commises lors des manifestations, pour demander aux procureurs de porter notamment «une attention particulière aux faits commis au préjudice des forces de l’ordre». De quoi, sans mauvais esprit aucun, rendre sans objet le plan ministériel de prévention des suicides dans la police, lancé en janvier 2015.

De manière plus générale, le drame ordinaire de Vitry brûle les lèvres d’une question absurde: comment protéger les policiers chargés de protéger les caméras chargées elles-mêmes de nous protéger?

Fustiger en fin de quinquennat le bilan de celui de ses prédécesseurs, initier une «grève du zèle» ou même une glose sémantique sur la définition exacte de «zone de non-droit», nous paraissent autant d’attitudes peu enclines à offrir de réelles solutions à ce problème délicat.

 Une première évidence, il faut moins de cynisme et plus de recrutements. François Hollande revendiquait en novembre dernier lors du congrès de Versailles la création, au cours de son mandat, de près de 9000 postes supplémentaires de gendarmes et de policiers. S’appuyant sur deux documents de la Cour des comptes publiés le 25 mai dernier, Jean-Marc Leclerc révélaient cependant que les postes promis ne correspondaient pas au poste pourvus et que seuls 290 emplois supplémentaires avaient semble-t-il vraiment été créés. Certes à l’occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2017 en Conseil des ministres, le ministère de l’Économie et des Finances a annoncé pour 2017 la création de 2.031 postes au sein de la police nationale et 255 postes de gendarmes. On reste néanmoins loin des 9000 annoncés.

Une deuxième évidence, il faut donner aux policiers les moyens de se défendre. Outre la question importante de leur équipement, se pose celle de leurs règles d’engagement. L’article 12 de la proposition de loi, enregistrée à la présidence de l’assemblée nationale le 29 juillet 2016 par les députés LR, pourrait permettre aux policiers de tirer après deux sommations, dans un certain type de situations. Balayé d’un revers de main par la commission il y a quelques jours, ce texte qui sera bientôt débattu en séance publique mériterait pourtant, au regard de cette actualité brulante, que l’on y prête davantage d’attention.

Une troisième évidence, il faut lutter plus efficacement contre le trafic illicite de produits stupéfiants. Car c’est lui qui met les quartiers en coupe réglée, qui arme, qui suborne cette jeunesse et finance le terrorisme. L’ouverture d’une salle de shoot cette semaine envoie en ce sens un signal catastrophique, puisque pourront y être désormais consommés, en toute impunité, des produits directement issus de cette activité.

La gendarmerie a annoncé il y a quelques jours qu’elle allait bénéficier d’une subvention de 956 000 euros pour l’acquisition de drones et la formation des télépilotes de 2015 à fin 2017. N’en doutons pas, les perspectives ne manqueront pas, pour elle, d’être intéressantes. Si les moyens alloués aux forces de l’ordre devaient toutefois se raréfier, nous serions en droit de nous interroger: pour reconquérir un territoire perdu, vaut-il mieux patrouiller au sol ou filmer depuis le ciel?

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