Atlantico.fr : Ces derniers temps la violence semble exploser en France. Lors de la Saint-Sylvestre, par exemple, les traditionnelles émeutes du Nouvel an n’ont pas duré une nuit mais plusieurs jours. Si l’on en croit les chiffres entre le quinquennat de François Hollande et celui d’Emmanuel Macron, les actes de violences (en région parisienne mais hors de Paris) ont également augmenté. Comment expliquer cette montée de violence ?
Guillaume Jeanson : Vous évoquez la Saint-Sylvestre et les derniers chiffres qui viennent de fuiter dans la presse sont à cet égard édifiants. 1.457 véhicules auraient été incendiés sur tout le territoire pendant la nuit, soit 13% de plus que l’année précédente qui en comptait déjà 1.290, un précédent record. Contre, rappelons-le 1.031en janvier 2018 et 804 en janvier 2016. Bien que le gouvernement s’évertue à garder le silence sur ces chiffres pour ne pas attiser des rivalités criminogènes renforçant ce phénomène, les réseaux sociaux se chargent hélas d’entretenir cette émulation.
Ces chiffres sont un premier indice parmi d’autres de la montée inexorable de la violence dans notre pays. Même si depuis le fameux rapport de la commission présidée par Alain Peyrefitte, alors garde des Sceaux, publié en 1977 et intitulé Réponses à la violence, qui avançait le constat d’une « soudaine montée de la violence en France », cette question donne lieu à d’âpres débats publics. Sans prétendre ici à l’exhaustivité, relevons à tout le moins que depuis deux ans, nombreux sont ceux à s’inquiéter de la hausse des violences gratuites ainsi que du grand retour des homicides. Nombreux sont ceux à pointer la hausse de la violence non seulement sur les forces de l’ordre, mais aussi sur les pompiers, les médecins et le personnel scolaire…
Le débat de la montée de la violence qui s’appuie le plus souvent sur des analyses de tendances de chiffres continue toutefois de faire l’objet de vives controverses et certains sociologues préfèrent encore écrire – en comparant les ordres de grandeur des homicides sur ces dernières décennies avec ceux qui prévalaient au pic des vengeances privées de la fin du moyen-âge -qu’« il est à peu près certain que nous vivons l’époque la moins dangereuse de notre histoire. » Une autre critique récurrente de ces analystes tient au fait que les statistiques (du moins surtout celles qui suivent une évolution inverse à leur discours) ne peuvent pas, selon eux, être considérées comme une mesure exacte de la délinquance. Une question dont il ne faut pas pour autant nier la complexité, tant ces statistiques doivent être appréhendés avec prudence, être complétées et étayées. Il suffit pour illustrer ce propos d’évoquer par exemple la différence entre les chiffres des autorités et ceux révélés directement par les victimes via les enquêtes de victimation, pour comprendre qu’il s’agit également là d’indices de l’activité des forces de l’ordre, du degré de la confiance de la population envers sa police, que ces chiffres sont eux-mêmes fonction des taux de dépôt de plaintes qui dépendent eux-mêmes en partie des taux d’élucidations eux-mêmes vriables suivant le type d’affaires, etc… autant d’éléments dont l’analyse est importante mais qu’on préfère bizarrement mettre aujourd’hui en péril en supprimant l’ONDRP (l’observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale) en préparant de ce fait des « ruptures statistiques » qui compliqueront l’analyse rigoureuse de l’évolution de la délinquance entre la période actuelle et les années à venir. A qui cela profitera-t-il ?
La question vraiment importante pour juger des politiques publiques à l’œuvre et des tendances qui affectent la vie des citoyens est de toute façon moins celle de savoir si la violence est « croissante », que celle de savoir si elle s’est accrue à l’échelle d’une vie humaine. Or à cet égard l’évolution est palpable et les comportements dits d’ « évitements » se sont d’ailleurs généralisés en réaction à celle-ci. La hausse des violences gratuites traduit une hausse des tensions inquiétantes dans la société, elle-même entretenue par un sentiment d’impunité qu’explique les défaillances répétées d’un système d’exécution des peines à la dérive depuis de trop nombreuses années. La hausse des homicides tient, quant à elle, plus spécifiquement à l’aggravation des prises de contrôles violentes des points de deal. Elle est donc directement liée à la prolifération inquiétante des trafics de stupéfiants qui surfe sur une politique publique hypocrite en matière de drogues. Une politique qui, en continuant notamment d’ouvrir des salles de shoot, renvoie des messages contradictoires quant à sa position réelle sur l’usage illicite de produits stupéfiants. Un usage qui fait encourir en théorie une peine de prison mais dont les débats préalables à la mise en place d’une amende forfaitaire ont mis en lumière qu’il n’était sanctionné en pratique le plus souvent que par de simples rappels à la loi…