Une remise de peine qui ouvre la possibilité d’une libération conditionnelle
Le Président de la République a accordé hier soir une remise gracieuse de peine à Mme Jacqueline Sauvage. Cela va permettre à cette dernière de présenter une demande de libération conditionnelle dans quelques semaines puisque la période de sûreté a été levée. En effet, sans l’intervention de cette grâce, il aurait fallu que Mme Sauvage attende deux ans et quatre mois pour faire cette demande.
François Hollande a donc utilisé pour la seconde fois son pouvoir de grâce présidentielle, qui permet à un condamné de ne pas purger l’intégralité de sa peine mais ne fait pas disparaître la condamnation. Ce droit de grâce individuel est prévu dans l’article 17 de la Constitution, mais il ne peut plus être collectif depuis la révision constitutionnelle de 2008, celle-là même qui a permis au président de la République de s’exprimer devant le Congrès au mois de novembre.
Notons que la demande de grâce doit intervenir lorsque toutes les voies de recours sont épuisées et que la peine (de prison en l’occurrence) est exécutoire. Jacqueline Sauvage a été condamnée par deux cours d’assises. Le pourvoi en cassation, en raison de sa vocation à juger le contrôle l’application du droit et non le fond de l’affaire, n’est pas considéré comme une voie de recours empêchant la demande de grâce.
Une forte mobilisation médiatique
La première réaction que l’on peut avoir après le flot médiatique très fort que l’on a entendu, est une forme de soulagement et de contentement, en se disant, qu’enfin, cette malheureuse femme est libre. Sans doute était-il légitime de gracier Mme Sauvage.
Mais au-delà de ce cas individuel, on ressent tout de même une légère gêne. Car comment se fait-il, alors qu’une mobilisation médiatique, politique et associative nous présente cette affaire sous un angle extrêmement simple, dans laquelle une femme et sa famille ont vécu un véritable martyr sous la coupe d’un père violent et incestueux pendant plusieurs décennies, que deux cours d’assises aient malgré tout condamné Mme Sauvage à 10 ans de prison?
Ce sont bien une demi-douzaine de magistrats disposant de l’intégralité des pièces du dossier et de nombreux citoyens, jury populaire de cour d’assises, qui ont condamné deux fois Mme Sauvage, sachant que les avocats de cette dernière avaient la possibilité de récuser certains jurés. On en vient donc à l’idée que si cette grâce est sans doute compréhensible, elle ne doit pas faire oublier que deux procès d’assises ont néanmoins pu mettre en lumière une autre vérité, sans doute plus nuancée que celle avancée par les médias.
Ne connaissant pas le dossier, nous ne pouvons naturellement pas réagir précisément sur ce cas individuel. Mais peut-être aurions nous aimé davantage de nuance et de retenue dans les commentaires portés, en dehors de la cour d’assises… Malgré l’empathie que l’on peut ressentir pour une femme ayant vécu un calvaire, tout comme sa famille, rappelons ainsi, pour nuancer, que lors du procès en appel, l’avocat général avait demandé une confirmation de la condamnation à 10 ans de prison pour ne pas créer un «permis de tuer». On ne peut que souscrire à cette idée afin de ne surtout pas créer un précédent fâcheux, une sorte de jurisprudence médiatique et politique bien utile ou manipulable.
Une forte pression médiatique
Il aurait sans doute été préférable que cette affaire serve à mettre en lumière les carences ou les éventuels besoins des services qui permettent de signaler, interrompre ou juger les violences intrafamiliales ou les violences faites aux femmes, aux enfants ou aux personnes âgées. On aurait pu souhaiter une mobilisation médiatique et politique visant, d’une part, à faire plus largement connaître des dispositifs utiles tels que l’ordonnance de protection et, d’autre part, à encourager l’augmentation des capacités des centres d’accueil pour les femmes fuyant des maris violents ou sur la détection précoce des enfants soumis à des violences physiques ou psychologiques au sein de leur famille.
On aurait surtout souhaité que la médiatisation de cette affaire soit davantage nuancée, afin d’éviter le risque qu’elle soit instrumentalisée. La justice et nos juges ont en effet besoin de sérénité pour exercer leur lourde tâche. Ainsi, dans quelques semaines, un juge d’application des peines devra statuer sur la demande de libération conditionnelle de Jacqueline Sauvage. On peut s’interroger sur la liberté (réelle) qu’aura ce magistrat de ne pas suivre l’oukase médiatique et la décision présidentielle.
Les magistrats sont soumis à différentes pressions. On évoque, à ce sujet, une possible révision constitutionnelle, réformant le CSM ou les conditions de nomination des magistrats du parquet pour limiter la pression politique sur la magistrature. Or, on voit à travers cette affaire que la pression médiatique (ou syndicale) imposant son manichéisme, peut être autrement plus forte. Rien n’est prévu pour y répondre.
Face à la présentation médiatique de cette affaire, peut-on refuser d’exprimer un avis tranché? On peut surtout souhaiter que cette bulle se referme et qu’elle ne soit pas trop instrumentalisée à l’avenir.