Tribune

Jawad Bendaoud, symbole d’un système judiciaire impuissant

Jawad Bendaoud, le logeur des auteurs des attentats du 13 novembre, ne sera pas poursuivi pour complicité de terrorisme. Pour Guillaume Jeanson, le cas Bendaoud est symptomatique d'une justice en perte d'autorité.

Publication
13 juillet 2017
Durée de lecture
4 minutes
Média
Figarovox

Jawad. Ce prénom est devenu célèbre au sortir des attentats du 13 novembre 2015. Une interview vidéo assez laborieuse, captée peu avant son interpellation par les policiers, lui avait en effet valu les honneurs de la toile. Celui qui était alors surnommé «le logeur de Daech» pour avoir fourni l’appartement dans lequel Abdelhamid Abaaoud et Hasna Aït Boulahcen ont ensuite été tués à Saint-Denis, n’a eu de cesse depuis de refaire parler de lui. Et l’on apprend que, selon les informations d’Anne Jouan du Figaro, le parquet de Paris viendrait de demander la requalification des faits le visant en «recel de malfaiteurs» – une infraction lui faisant encourir une peine maximale de trois ans de prison, contre la peine de vingt ans que lui faisait encourir la précédente qualification retenue d’association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation d’un ou de plusieurs crimes d’atteintes aux personnes.

Jawad Bendaoud a sans doute de la chance de vivre en France. Dans d’autres contrées judiciaires, son sort en eût peut-être été décidé autrement. Anne Jouan relève d’ailleurs que cette décision «ne fait pas l’unanimité chez les magistrats du pôle antiterroriste». Il est également difficile d’oublier un détail troublant qu’avait rapporté un autre journaliste du Figaro, Paul Louis, au mois de novembre dernier: «en juillet (2016), l’ADN de Jawad Bendaoud est retrouvé sur un gilet explosif que les assaillants portaient au moment de l’assaut, ainsi que sur un rouleau de scotch orange et un morceau de scotch gris qui ont servi aux kamikazes».

On ne saurait bien sûr, à l’aune de ce seul détail rapporté par voie de presse, préjuger de sa culpabilité, ni se prononcer de façon péremptoire sur le fond d’un dossier que la justice a sans doute examiné minutieusement. Mais ces précautions nécessaires ne doivent pas pour autant nous empêcher de formuler quelques observations.

Oui, Jawad Bendaoud a sans doute de la chance de vivre en France. Avec une quinzaine de condamnations sur son casier pour des faits liés aux stupéfiants, détention d’armes aggravée en réunion, faux et usage de faux, conduite en état d’ivresse, violences conjugales, violences aggravées en réunion, lui qui avait déjà été condamné en 2008 à 8 ans d’emprisonnement pour avoir tué «accidentellement» à coups de hachoir son meilleur ami âgé de 16 ans, en 2006, au sujet d’un simple portable, devrait en effet sortir à nouveau de prison d’ici un an. Rappelons qu’à sa précédente sortie de prison, en septembre 2013, il était devenu «le caïd» de la rue du Corbillon à Saint-Denis, ce lieu où la police était intervenue contre les terroristes. Il était aussi devenu «l’homme à tout faire» des marchands de sommeil et se trouvait mêlé à toutes sortes de trafics, n’hésitant pas même, selon certains riverains, à faire régner la terreur dans son quartier.

Il y a quelques mois, parmi ces diverses missives adressées à ses juges, dont certaines furent d’ailleurs hautement médiatisées, Jawad Bendaoud écrivait: «Plus jamais de ma vie je referais quoi que ce soit d’illégal, quitte à manger des conserves aux Restos du cœur, la poisse me colle à la peau». On ne pourra que se réjouir de le voir afficher de si nobles résolutions. Lui faire crédit de ses bonnes intentions et être convaincu qu’il parviendra à les transformer en acte n’en sont pas moins deux choses très différentes, si l’on prend du moins le temps de se pencher un instant sur ce que son passif nous révèle de sa personnalité. Car ce passif témoigne à n’en pas douter d’un profil particulièrement impulsif et violent. Déjà en 2008, l’avocat général dans son affaire aux assises avait souligné sa «personnalité impulsive et très nerveuse». Précisant même alors: «Jawad n’est toujours pas dans la reconnaissance absolue de son geste, il est toujours dans un discours de déresponsabilisation, parle du drame comme d’une chose vécue, mais dont il ne se voit pas acteur» (…) «Les deux années écoulées depuis le drame n’ont pas conduit l’accusé sur le chemin de la réhabilitation».

La persistance de ce trait préoccupant de sa personnalité n’a pas, hélas, cessé d’être confirmée par la suite. Et ces derniers mois en offrent encore de multiples illustrations: en septembre 2016, il met le feu à sa cellule. En octobre, il écrit à ses juges: «Est-ce que vous allez imprimer ça dans vos cervelles? Depuis ma sortie de prison, je n’ai même pas préparé un repas et vous me parlez de préparer des attentats. (…) Je vais péter les plombs». En novembre, il refuse d’être extrait de la prison pour sa comparution dans un dossier de trafic de stupéfiants. En janvier, il est dans un tel état à l’audience, qu’il est renvoyé de son propre procès et écope d’une obligation de soins pour apprendre, suivant les mots de la présidente de la chambre des comparutions immédiates, à «canaliser son impulsivité». Il y a un mois et demi, alors qu’il comparaissait cette fois pour «menaces et outrage sur personne dépositaire de l’autorité public» contre les policiers de son escorte du mois de janvier précédent, il explique à la présidente, contrainte de le recadrer à plusieurs reprises, qu’il a «dit au policier: ‘Ramène ta femme si elle veut se faire sauter’, mais c’était sexuellement, pas à l’explosif», peu avant d’interrompre le procureur en lui lançant «elle est complètement toc toc celle-là!».

Ce trait de personnalité, qui a certainement contribué à sa «notoriété» sur les réseaux sociaux, ne fait certes pas de Jawad Bendaoud un terroriste. Il doit cependant nous conduire à nous interroger sur l’efficience de notre système pénal. Un système incapable de contenir la montée de la délinquance violente. Incapable de dissuader certaines personnes de s’ancrer durablement dans la délinquance. Incapable même d’apprendre à ceux dont il a la charge, soit en milieu ouvert soit en milieu fermé, à gérer leurs pulsions violentes.

Il faut donc agir. Se donner d’abord des moyens efficaces pour évaluer la dangerosité des délinquants. Depuis 2010, l’Académie de médecine préconise l’utilisation des échelles actuarielles, ces outils modernes d’évaluation de la dangerosité qui ne sont hélas encore que trop rarement utilisés en France. Il faut ensuite s’autoriser à repenser l’échelle et l’exécution des peines, en recherchant une plus grande certitude, une plus grande rapidité et un meilleur suivi. La justice apparaît encore pour un trop grand nombre comme inutilement lente et complexe. Ses décisions, parfois exagérément symboliques, peinent souvent à être comprises et proprement exécutées. Il faut enfin, lutter contre les facteurs criminogènes. Parmi eux, le profil de Jawad nous conduit à énumérer les addictions et l’impulsivité. Les addictions méritent un combat cohérent contre les trafics de drogue. Elles méritent une forte promotion de programmes ambitieux de sortie de la dépendance. L’impulsivité peut, quant à elle, être travaillée en détention par le développement de thérapies cognitives et comportementales.

Aux USA, Heather Mac Donald, chercheur associé au Manahattan Institute et éditrice au City Journal, nous apprend que le prototype du programme Resolve To Stop Violence à San Francisco s’enorgueillit déjà de résultats significatifs en matière de récidive: le taux de réincarcération à un an pour les crimes violents a chuté de 82% pour ceux ayant participé au programme durant 16 semaines. En France, d’intéressants programmes de prévention de la récidive ont été expérimentés à partir des années 2000. Ces programmes qui ont souffert d’absence de protocole strict, doivent être améliorés et développés en détention afin de faire du temps passé en prison un temps vraiment utile pour les détenus eux-mêmes, leurs victimes et la société.

Si agir sur le budget et l’ordonnancement normatif est crucial, agir sur les mentalités l’est probablement plus encore. Alexis Carré rappelait avec beaucoup de pertinence il y a quelques semaines au sujet des circonstances troubles de la cavale de Salah Abdeslam ces quelques mots que T. E. Lawrence, lui-même artisan de la guerre insurrectionnelle des Arabes contre les Turcs, avait écrit en 1920: «[les rébellions] doivent avoir le soutien des populations, pas un soutien actif, mais suffisamment de sympathie pour ne pas les trahir au profit de l’ennemi. Les rébellions peuvent être composées de 2% d’actifs dans la force de frappe et de 98% de sympathisants passifs

Sans condamner des innocents, il ne faut pas être dupe de la difficulté que représente la guerre intestine qui nous est menée. Placer avec justesse le curseur de la qualification terroriste pour appréhender les actes commis par ceux qui gravitent dangereusement autour de ces 2% d’actifs, constitue à cet égard le défi le plus épineux pour notre Justice. Ce défi elle devra néanmoins apprendre à le relever sans trembler, si elle veut lutter efficacement contre le terrorisme.

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