Alors que les banlieues s’embrasent à nouveau, resurgit dans le débat de l’élection présidentielle l’épineuse question de la délinquance des mineurs: François Fillon entend abaisser la majorité pénale à 16 ans.
C’est une nouveauté dans son programme. Une nouveauté défendue jusqu’ici par Nicolas Sarkozy. Plutôt que de se gausser du revirement d’un candidat que d’aucuns souhaiteraient voir se retirer à la faveur d’affaires hautement médiatisées ; plutôt que de hurler au va-tout sécuritaire au moindre questionnement de l’efficacité de l’ordonnance de 1945, celle relative à l’enfance délinquante ; replaçons cette proposition dans son contexte factuel et juridique. Essayons d’en mesurer la portée.
Dans son livre intitulé Tout ce qu’il ne faut pas dire, le général Bertrand Soubelet dresse un constat accablant de la délinquance des mineurs dans notre pays. Tout en précisant que «la jeunesse ne constitue pas un bloc homogène», il n’hésite pas à écrire: «déjà à douze ans, nombre de ces jeunes sont très autonomes et certains sont même entrés dans la vie active du deal et du caillassage des voitures de police et de la gendarmerie. Evidemment ils ne sont pas majoritaires. Mais, y compris dans les beaux quartiers, certains, âgés de douze ans, ne peuvent plus vraiment être considérés comme des enfants.»
Evidemment cette situation n’est pas nouvelle. Elle existait déjà sous le quinquennat précédent. L’étude d’impact, annexée au projet de loi de 2011 créant les tribunaux correctionnels pour mineurs, précisait en effet que le nombre de mineurs mis en cause pour des faits de violences depuis 1990 avait augmenté de 575%. Une autre étude, menée en 2011 par l’Observatoire national de la délinquance, établissait que les 14-18 ans, soit 5% seulement de la population française, représentaient à eux seuls 25% des mis en cause pour viols et agressions sexuelles, 34% pour cambriolages, 46% pour vols avec violence et 57% pour destructions et dégradations de biens publics.
Face à cette place de choix qu’occupent les mineurs dans les statistiques générales de la délinquance, quelles sont les réponses pénales apportées par la justice?
L’infostat justice de janvier 2017 pourrait à cet égard presque rassurer les partisans d’une politique de fermeté. On y lit en effet que «l’emprisonnement est la principale peine prononcée et concerne trois condamnations sur dix, dont une sur dix avec au moins une partie ferme, de façon stable depuis trente ans». Lorsque l’on s’intéresse, cependant, aux chiffres de l’administration pénitentiaire, on s’étonne d’y découvrir une réalité nettement plus nuancée: sur les 68.432 détenus recensés dans notre pays au 1er janvier dernier, on compte 769 mineurs. Les trois-quarts d’entre eux attendent d’être jugés. Cela signifie que sur les 48.934 personnes condamnées et purgeant actuellement leur peine de prison, seules 195 d’entre elles sont dites mineures. On perçoit ainsi aisément, qu’outre la différence de durée des peines, seule une faible partie des condamnations en justice des mineurs se traduit – effectivement – par des peines purgées en détention.
Le sujet n’est pas ici de prôner une généralisation de la prison pour les mineurs. Il est de pointer la différence importante de réponse pénale existant entre les majeurs et les mineurs délinquants. Il est de s’interroger sur le fait de savoir si notre justice des mineurs ne pécherait pas parfois, plus encore que celle des majeurs, par excès de réponses «symboliques». Par excès de réponses dénuées de toute réalité tangible pour ceux à qui elles sont destinées. Rappels à la loi, remises à parents (effectuées même en l’absence des parents), admonestations (dont une étude de la PJJ réalisée en 2008 a montré que 8% seulement des mineurs interrogés connaissaient le sens de ce mot – la plupart retenant le mot «monnaie», et le comprenant comme de l’argent dû à la victime…) et sursis simples sont autant de réponses susceptibles d’être perçues comme une absence pure et simple de réaction du corps social face à leur comportement délictueux. Plus grave encore, elles sont susceptibles d’être perçues comme un véritable encouragement à persévérer dans la délinquance. Car la criminologie enseigne que la plupart des délinquants sont mus dans leurs actions par un rapport coût/bénéfice.
Bien sûr la justice des mineurs est gouvernée par un principe essentiel: celui de la primauté de l’éducatif sur le répressif. Mais ce principe s’accommode aussi d’une certaine dose de progressivité. Chez les mineurs de 16 à 18 ans, c’est-à-dire chez les premiers qui seraient concernés par l’abaissement de la majorité pénale, cette progressivité joue d’abord au regard du quantum de la peine. C’est «l’excuse de minorité». Celle qui veut, qu’en dessous de 16 ans, on ampute nécessairement de moitié la peine encourue, alors qu’entre 16 et 18 ans elle peut parfois être écartée.
Cette progressivité joue ensuite en matière processuelle. C’est la Cour d’assises des mineurs. Celle qui est réservée aux seuls mineurs de 16 à 18 ans poursuivis pour crimes. Les plus jeunes relevant, quant à eux, du tribunal pour enfants. C’était également le tribunal correctionnel pour mineurs. Il était réservé aux récidivistes de 16 à 18 ans pour des délits punis d’au moins trois ans de prison. Créé à l’issue du quinquennat de Nicolas Sarkozy, ce tribunal a été supprimé en novembre dernier par la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle. Son objectif était d’adapter sa composition au profil du mineur délinquant: des magistrats professionnels remplaçaient les deux assesseurs non professionnels du tribunal pour enfants. Ces derniers étant réputés «peiner à adapter leur positionnement au parcours particulièrement complexe et violent de tels mineurs» pour citer Frédéric Carteron, ancien juge des enfants au Tribunal de grande instance de Pontoise.
Fixer la majorité pénale à 16 ans, c’est donc accroître, de manière plus radicale encore, cette progressivité juridique et processuelle pour lutter contre la délinquance des mineurs de 16 à 18 ans. C’est supprimer pour eux l’excuse de minorité et rendre compétentes les juridictions des majeurs. C’est marquer un retour aux codes pénaux de 1791 et 1810. C’est emprunter une voie qui trouve un certain écho à l’étranger – aux Pays-Bas et en Belgique notamment – où, comme l’écrit le Professeur de droit Jean Pradel, le juge peut parfois «considérer le jeune délinquant comme un adulte». Avec toutefois une différence notable: la place laissée au juge.
Cette nouvelle proposition de François Fillon constitue, après l’échec des tribunaux correctionnels pour mineurs, victimes de l’indigence du politique et de l’idéologie d’une partie de la magistrature, une seconde tentative de soutenir une politique de fermeté à l’endroit des mineurs âgés de 16 à 18 ans. D’autres voies mériteraient d’être explorées: limitation des sanctions symboliques, accélération des procédures, révision des centres éducatifs fermés… Mais cette proposition offre au moins le mérite de fuir tout esprit de résignation, toute politique juridique de l’autruche, devant un phénomène qui constitue un enjeu majeur pour l’avenir de notre pays.