Tribune

«La justice a-t-elle seulement les moyens de punir ?»

Le 15 décembre 2021 se tenait une journée de mobilisation des professionnels de la justice. Le délégué général de l'Institut pour la Justice s'inquiète de l'état de santé du système judiciaire français malade de moyens humains et matériels.

Publication
22 décembre 2021
Durée de lecture
2 minutes
Média
FigaroVox

La justice a-t-elle seulement les moyens de punir ?»

Il y a quelques jours, une manifestation a rassemblé des milliers de professionnels de la Justice : magistrats, greffiers, juristes assistants. Cette manifestation faisait elle-même suite à une tribune lancée fin novembre dans laquelle 6 000 magistrats (sur un corps de 9 000) lancent un cri d’alerte concernant leurs conditions de travail et le manque de moyens humains et matériels.

La Justice prête souvent le flanc à des critiques sur son fonctionnement, et ces critiques sont souvent méritées. Elle serait trop laxiste, parfois trop politique, trop arbitraire : des critiques cristallisées régulièrement lors des sondages sur la confiance en la Justice.

Mais même les plus grands pourfendeurs du laxisme judiciaire, dont je suis, se retrouvent sur un point central : la Justice française est pauvre. Bien trop pauvre pour rendre la Justice correctement.

Des tribunaux indigents

Elle est d’abord pauvre en moyens matériels. Les logiciels sont obsolètes : les magistrats utilisent par exemple toujours Wordperfect, traitement de texte populaire des années 1990, le logiciel Cassiopée, fiasco numérique complet qui a beaucoup fait parler de lui, ou encore le fax pour communiquer avec les avocats. C’est simple, le monde des tribunaux a 30 ans de retard technologique sur le monde du privé.

La Justice est également pauvre en moyens humains. La charge de travail, et notamment celle des magistrats du parquet, est extrêmement lourde et une journée normale se termine aux alentours de 22 heures, tous les jours. Ce constat n’est pas seulement celui de tous les parquetiers que l’on rencontre, mais également celui du Conseil de l’Europe. Chaque année, le rapport CEPEJ compare ainsi les moyens des systèmes judiciaires des pays d’Europe et constate la misère de la Justice française. Tous les voisins de la France ont par exemple un nombre de procureurs supérieur à la France : Belgique, Allemagne, Espagne, Italie. De 4 à 8 pour 100 000 habitants, quand la France, elle, est à 3.

C’est également le budget par habitant qui déprime la profession. La France dépense 70€ par habitant pour son système judiciaire. Ce chiffre est encore une fois inférieur à tous ses voisins et très loin de l’Allemagne et ses 131€ par habitant. Pour atteindre le niveau de l’Allemagne, il faudrait donc pratiquement doubler le budget de la Justice française. Autant vous dire, que nous sommes loin du compte.

La hausse du budget de la Justice est une supercherie que bien peu d’observateurs politiques ont relevée : l’essentiel de la hausse concernerait l’aide juridictionnelle et finance donc les mis en cause qui manquent de moyens, et leurs avocats.

Autre point qui mérite d’être examiné, l’outil de travail principal des juges : le nombre de places de prison. En principe, le juge détermine qui doit être puni par la prison et qui ne doit pas l’être. Mais dès lors que le juge ne peut plus punir, faute de places en prison, quel sens conserve la Justice ? À ce sujet d’ailleurs, le quinquennat d’Emmanuel Macron aura été tout simplement calamiteux. Alors que 15 000 places étaient promises dans son programme, seules 2 000 ont été construites, et les places supplémentaires ont été lancées il n’y a que quelques mois, après une intense tempête médiatique.

C’est également l’occasion d’évoquer les supposées hausses records du budget de la Justice de ces deux ou trois dernières années. Le ministre de la Justice répète l’argument dès qu’il est mis en difficulté. Mais cette hausse est une supercherie que bien peu d’observateurs politiques ont relevée : l’essentiel de la hausse concernerait l’aide juridictionnelle et finance donc les mis en cause qui manquent de moyens, et leurs avocats. Rien pour remplacer WordPerfect. Ensuite, c’est le nombre de magistrats recrutés en 2021 qui devrait mettre la puce à l’oreille : alors que la moyenne annuelle de magistrats recrutés depuis 10 ans tourne autour de 250, l’année 2021 marquera une baisse conséquente avec 195 magistrats recrutés. Étonnant quand on sait que ce nombre est un numerus clausus fixé discrétionnairement par le ministre.

Ce qu’il faut faire ? Tout le contraire …

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