Atlantico : La gestion du Palais de Justice de Paris, partagée entre un propriétaire privé (Arélia, dont Bouygues est actionnaire) et les fonctionnaires qui en ont l’usage, notamment des policiers, des juges, avocats, semble poser des problèmes. En mai dernier, après la dégradation d’un bureau au sein du Palais de Justice à la suite d’une interpellation compliquée, le propriétaire a décidé de porter plainte… contre la police.
Cette situation n’est-elle pas révélatrice d’un aspect conflictuel de la gestion du Palais de Justice de Paris et plus généralement de problèmes liés à ces partenariats public/privé ?
Guillaume Jeanson : Cet événement paraît en effet ubuesque et le récit détaillé des tensions rapportées par votre confrère du Monde Jean-Baptiste Jacquin est à cet égard édifiant. Oui, les partenariats public-privé peuvent être source de tensions. Précisons toutefois que si l’une des caractéristiques principales de la politique immobilière du ministère de la justice a été de recourir à ces partenariatspour la réalisation des programmespénitentiaires les plus récents, seuls deux palais de justice ont en revanche été construit suivant cette formule : ceux de Rouen et de Paris. Et il est peu vraisemblable que, dans un avenir proche, il y en ait d’autres. La Cour des comptes a en effet épinglé vertement ces partenariats dans un rapport publié en décembre 2017 intitulé sobrement « la politique immobilière du ministère de la justice, mettre fin à la fuite en avant ». Pourquoi ? Parce que le recours systématique à ces partenariats (qui ont eu particulièrement le vent en poupe sous l’ère sarkozyste) se révèle à l’étude tout simplement ruineux pour les pouvoirs publics. Mais, outre cet aspect au demeurant important pour l’équilibre du budget et le respect des contribuables, le rapport a aussi pointé « une délicate gestion des contrats dans le temps. » Car la réalisation de travaux modificatifs après la mise en service est onéreuse.Financés sur crédits budgétaires, ces travaux n’ont pas d’incidence sur les redevances d’investissement et de financement mais ils induisent le plus souvent une hausse significative des loyers d’exploitation. Le rapport dénonce ainsi le fait que les conventions prévoient une procédure de négociation qui peut s’avérer longue, les devis présentés par le partenaire étant fréquemment exorbitants. En dépit de rabais qu’elle parvient à obtenir, la personne publique se retrouve ainsi fréquemment conduite à payer des travaux au-dessus du prix qui résulterait d’une situation concurrentielle. Alors même que ce rapport avait été publié avant l’entrée dans les lieux du nouveau palais de justice de Paris, il évoquait déjà que« des tensions apparaissent fréquemment entre le constructeur et le mainteneur qui se rejettent la responsabilité des dysfonctionnements. Cette situation est préjudiciable à la personne publique. » Les tensions auxquelles vous faites référence, (bien que fort heureusement un tel dépôt de plainte demeure quant à lui exceptionnel) me paraissent en effet découler directement de cette formule choisie pour construire le nouveau palais de justice de Paris. Une opération à laquelle le rapport de compte réserve d’ailleurs un chapitre entier et dont l’intitulé ne laisse guère la place au doute : « une opération emblématique : le nouveau palais de justice de Paris ».
Jean-Baptiste Vila : Ce que ce dossier semble montrer, c’est qu’effectivement, dans ce genre de contrats qui réunit plusieurs intervenants (la personne publique qui passe le contrat, et le cocontractant majeur) il y a toujours un risque de difficultés. D’un côté, cela permet d’avoir des équipements qui sont quand même financés par un tiers extérieur, généralement privé, mais on n’est pas à l’abri de problèmes de ce genre. Il peut y avoir des problèmes d’exécution du contrat. Ce que cela montre aussi, c’est que les partenariats publics privés ont été très utilisés, mais qu’il y a des conditions financières très complexes.
Généralement, les enjeux sont tellement importants sur le plan financier, qu’il n’y a pas de problèmes. Par exemple, le grand stade à Bordeaux, en termes de partenariat, c’est 60 millions d’euros. Le théâtre de l’Archipel à Perpignan, c’est un contrat de partenariat à 50 millions d’euros. Les volumes financiers sont tellement élevés que les parties contractantes à ne pas respecter le contrat. Quand il y a des problèmes, on trouve souvent des solutions de négociation. En revanche, quand on constate des déséquilibres économiques très importants, il y a des tiers extérieurs comme les associations d’usagers qui soulèvent ces questions devant les juges.
Il y a un autre exemple de ce type. Le ministère de la Défense, à Paris, dans le XVème arrondissement, est géré en contrat de partenariat. Des gradés se sont plaints auprès de leur hiérarchie au moment de l’installation, parce que pour mettre en place une prise d’imprimante, il fallait compter quatre mille euros. Ce n’est donc pas du tout surprenant.