Un usager de la ligne 9 du métro parisien a filmé l’agression d’une femme par un homme dans une rame. La scène a été diffusée mardi sur Twitter. Un suspect a été placé en garde à vue au commissariat du XVIe arrondissement ce mercredi.
Atlantico.fr : Une vidéo montrant une jeune femme se faisant violemment agresser par un homme, sur la ligne 9 du métro parisien, a fait le tour des réseaux sociaux. La Secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, a déploré, sur Twitter, que les autres passagers du métro soient restés passifs.
Si Marlène Schiappa n’a pas tort de déplorer la passivité de la plupart des voyageurs ayant été témoins de la scène, son commentaire n’est-il pas réducteur ? En effet, n’est-ce pas commettre une erreur que de réduire leur passivité à une sorte de lâcheté ?
Gérald Pandelon : Je crois d’abord qu’il est toujours plus aisé de donner des leçons de morale et de civisme lorsque l’on peut se permettre de regarder les choses de loin ; d’ailleurs, j’aurais été curieux de connaître le nombre de ministres qui auraient eu le courage de s’interposer en pareilles circonstances… Il est effectivement davantage de politiques qui réagissent au fond de leur canapé au sein de palais feutrés que dans la réalité des coupe-gorge que sont devenus nos métros…Je crois, en effet, que la critique est aisée et l’art est difficile, surtout dans nos sociétés hyper-individualistes du chacun pour soi. D’ailleurs, en temps normal, des voisins de pallier ne s’aident que rarement, pourquoi voudriez-vous alors que ces mêmes personnes fassent montre de courage dans des situations plus exceptionnelles ? La réalité c est que nos sociétés aseptisées produisent des lâches car la figure du guerrier est reléguée à la portion congrue voire ringardisée. C’est aussi l’un des motifs pour lesquels les sociétés holistes (l’Islam, notamment) qui font de la force une vertu s’imposent aussi facilement dans des sociétés individualistes comme les nôtres. Ensuite, les juges ont tendance en France à sanctionner ceux qui auront fait preuve de courage en intervenant physiquement de la même façon que les réels auteurs des faits. Il faudrait quand même que certains magistrats aient une réelle connaissance de la vie avant de juger, que le bon sens l’emporte sur une stricte application de la loi pénale. En même temps, que voulez-vous que connaissent à la vie un auditeur de justice fraîchement sorti de l’ENM à 23 ans ? Ce gamin sera sans doute, assez souvent, un bon juriste, mais n’aura aucune expérience. Je crois comme mon confrère Jean-Michel Darois (Le Point du 31 octobre 2019, p. 123), qu’il faudrait supprimer cette école pour ne recruter les magistrats qu’au sein de la société civile sur le modèle anglo-saxon.
Guillaume Jeanson : A l’aune du sentiment d’impuissance et de révolte qu’éprouvent légitimement tous ceux qui auront visionné ces images, la réaction de Marlène Schiappa peut paraître de prime abord compréhensible. Mais plutôt que de vilipender l’inertie des spectateurs, il m’apparaît plus utile de questionner les causes de cette inertie. Or questionner ces causes, c’est reconnaître qu’aujourd’hui en France, la plupart de ceux qui assistent à ce type de scènes savent à quel point il peut être dangereux de s’interposer. Dangereux physiquement et dangereux juridiquement. Et, il n’est pas anodin à cet égard que ce soit une personne étrangère qui s’en soit principalement prise à cet agresseur. Une personne également étrangère à cette forme d’inhibition désormais bien française.
Sans nous aventurer vers des conditions générales et douteuses sur le courage ou la lâcheté prétendus des uns ou des autres, il ne nous paraît pas invraisemblable de tenter en effet d’expliquer rationnellement cette inhibition. D’une part par la montée des violences : Le concept de « violences gratuites » si critiqué par certains sociologues trouvent tout de même un écho dans la multiplication de faits divers sordides pour lesquels les modes opératoires se ressemblent : un groupe de « jeunes » insultent ou agressent une femme. Un homme s’interpose pour la défendre et il est alors la proie d’un déferlement de violence qui peut être parfois d’une sauvagerie inouïe. C’est ainsi qu’est décédé il y a quelques mois Bastien Payet, une jeune figure du slam de Reims. C’est comme cela qu’aurait pu également décéder le conjoint de l’humoriste Laura Calu quelques mois plus tard… La notoriété de ces personnes a fait qu’on a parlé de ces drames. Mais la plupart des autres drames sombrent en revanche dans l’indifférence et l’oubli.
On peut d’autre part tenter de l’expliquer par l’incompréhension que suscitent de nombreuses décisions de justice ayant trait à la légitime défense. L’interprétation extrêmement restrictive qu’en font les magistrats conduit parfois à brouiller, dans l’esprit du public, les repères judiciaires entre celui qui est l’agressé et celui qui est la victime. L’achoppement de la construction théorique sur la dure réalité des violences en France peine à être comprise. S’il est évident que toute défense ne saurait être légitime et que, sauf à hypothéquer gravement l’ordre public, la vengeance privée ne peut être tolérée, l’appréciation de la proportionnalité de la riposte de celui qui, agressé souvent par surprise, cherche à préserver – souvent sous un état de stress intense – son intégrité ou celle d’autrui, devrait bénéficier évidemment dans les prétoires de davantage de mansuétude.
Le climat de violence actuel, mêlé à la culture de l’excuse qui existe au sein d’une partie du système judiciaire n’expliquent-ils pas en réalité cette passivité ? Certains n’hésitent-ils pas à intervenir par peur d’une éventuelle condamnation qui serait plus lourde que celle de l’auteur des faits ?