Editorial de Me Guillaume Jeanson dans La Lettre du C N P E R T
Centre National de Prévention, d’Etudes et de Recherches sur les Toxicomanies – Lettre N° CXII septembre 2019 – Président Pr. J. Costentin
Promesse ambiguë du candidat Macron, confortée l’année suivante par le rapport des députés Eric Pouillat et Robin Reda, l’extension de l’amende forfaitaire délictuelle à l’usage illicite de stupéfiants a été votée par la loi du 23 mars 2019. Bien que son décret d’application ait été publié le 24 mai 2019, ce dispositif n’est pas encore opérationnel. Une réponse à une question au gouvernement posée par Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe et publiée le 14 mai 2019 nous révèle en effet les suites qui lui seront prochainement réservées : « Une expérimentation va être lancée dans les mois à venir sur le ressort de certains tribunaux de grande instance et un déploiement national de cette mesure est envisagé pour le début de l’année 2020. Au plan opérationnel, le ministère de l’Intérieur en coordination avec l’agence nationale de traitement automatisé des infractions développe les outils nécessaires (procès-verbal électronique « PVe ») pour permettre aux forces de l’ordre de relever cette infraction d’usage de stupéfiants conformément à la procédure de l’amende forfaitaire. »
Cette amende forfaitaire délictuelle n’est pas une contraventionnalisation de cette infraction. Elle n’est qu’une modalité alternative de traitement de ce délit. Un délit qui demeure passible d’un an d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende mais pour lequel désormais « y compris en cas de récidive, l’action publique peut être éteinte (…) par le versement d’une amende forfaitaire d’un montant de 200 €. Le montant de l’amende forfaitaire minorée est de 150 € et le montant de l’amende forfaitaire majorée est de 450 €. »
Que penser de cette réforme ? Il est d’abord singulier qu’on puisse recourir à cette nouvelle modalité de traitement « y compris en cas de récidive » alors que le régime de l’amende forfaitaire, tel qu’il figure dans le code de procédure pénale, écarte en principe cette possibilité.
Il convient ensuite de garder quelques chiffres en tête avant de poursuivre notre analyse : En 2016, les parquets ont traité plus de 122 600 procédures d’usage de stupéfiants. Si le taux de réponse pénale de 98% semble satisfaire les autorités « puisqu’il se situe au-dessus de la moyenne nationale pour les autres infractions », la réponse pénale n’en demeure pas moins d’une faiblesse préoccupante : elle se traduit en effet par 54,3% d’alternatives aux poursuites, « parmi lesquelles sont privilégiés le rappel à la loi mais également l’orientation vers une structure sanitaire ou sociale ». Précisons que cette année-là, cette dernière mesure n’a concerné qu’environ 10 000 auteurs. Précisons encore que « les décisions de poursuites sont quant à elles principalement réservées aux usages de stupéfiants commis en état de récidive légale ou connexes à d’autres infractions ».
Comme première réponse à l’usage de drogue, l’amende forfaitaire de 200 € apparaît donc plus rapide (sauf voie de recours) et plus sévère que le circuit actuel qui ne donne lieu le plus souvent qu’à un simple rappel à la loi. Si elle est correctement utilisée, cette amende devrait donc se révéler plus dissuasive. C’est d’ailleurs ce qui a conduit certains organismes, comme la CNCDH (avis n° 273 en date du 25 novembre 2018), à « s’opposer catégoriquement » à ce dispositif dont était déploré « le caractère automatique et déshumanisé de la répression envisagée ».
Reste une double problématique. Celle, d’une part, de l’absence de progressivité des réponses pénales successives. Et celle, d’autre part, de l’exclusion des mineurs de son périmètre. L’absence de progressivité tient d’abord au fait qu’il sera possible de distribuer en récidive ces amendes forfaitaires délictuelles. Elle pourrait en outre donner lieu à de sérieuses incohérences. Rien n’interdit par exemple qu’un récidiviste déjà condamné une ou plusieurs fois à des amendes de 200 €, fasse ensuite l’objet -au terme d’un circuit classique cette fois- d’un simple rappel à la loi. Il existe enfin un risque prévisible d’inégalité. Comment éviter en effet qu’à certains endroits, l’amende soit fortement usitée, alors qu’à d’autres, on lui préfère le circuit classique,avec les différences de peines que l’on sait ?
L’exclusion des mineurs du dispositif de l’amende forfaitaire délictuelle pose également question. Elle résulte directement de la lettre du deuxième alinéa de l’article 495-17 du Code de procédure pénale. Les mineurs sont pourtant les premiers concernés par cet enjeu majeur de santé publique. D’après l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), le cerveau de l’adolescent, encore en phase de maturation, est plus vulnérable aux substances psychoactives que le cerveau de l’adulte. Or, selon l’enquête réalisée en 2014 sur la santé et les consommations lors de l’appel de préparation à la défense (ESCAPAD), en France 47,8 % des jeunes âgés de 17 ans ont déjà expérimenté le cannabis. A cette interrogation reprise par le député LFI Ugo Bernalicis, le gouvernement a livré une réponse en date du 19 juin 2018 qui peine à convaincre : l’accent est mis uniquement sur la prévention et la prise en charge. Concrètement, le gouvernement table donc seulement sur le développement des partenariats et des « consultations jeunes consommateurs (CJC) », un dispositif qui compterait actuellement 540 points d’accueil et de consultation, répartis sur près de 420 communes et qui permet de recevoir trente mille jeunes en consultation chaque année dont 80% viennent consulter au sujet du cannabis.
Aussi bonnes que puissent être ces initiatives, il nous paraît évidemment illusoire et dangereux, à l’heure où les jeunes Français sont les premiers consommateurs au niveau européen, avec un niveau d’usage trois fois supérieur à la moyenne européenne, de prétendre s’appuyer uniquement sur la prévention pour écarter du fléau de la drogue les adultes de demain.