entretien

Les failles dans la lutte contre la radicalisation islamiste relèvent-elles du manque de volonté politique ou de failles de l’appareil juridique français ?

L'attentat de la Préfecture de Police a rouvert la question des dispositifs juridiques existants dans les organisation publiques et privées pour gérer la radicalisation.

Publication
10 octobre 2019
Durée de lecture
2 minutes
Média
Atlantico

Atlantico.fr : Qu’est-ce que dit le droit sur ces questions ? Quels sont les dispositifs juridiques qui ont été mis en place que ce soit pour la fonction publique ou pour les entreprises ?

Guillaume Jeanson : Cette thématique demeure épineuse. Pour les entreprises, il y a certes eu en février l’année dernière l’annonce d’un plan national de prévention de la radicalisation qui détaillait certaines mesures visant à mieux prévenir la radicalisation en leur sein. Pour mémoire, ces mesures concernaient notamment le renforcement de la sensibilisation en milieu professionnel,la mise en place de groupes d’évaluation départementaux, la nomination d’un référent pour la prévention de la radicalisation dans les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi et la nécessité d’associer les partenaires sociaux à la démarche de prévention. Plus récemment, le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (à qui l’on devait déjà en mars 2016 un « Guide interministériel de prévention de la radicalisation »comprenant notamment desindicateurs de basculement dans la radicalisation servant de référence) a publié un « kit pédagogique de formation des entreprises à propos de la radicalisation ». Un kit diffusé au sein des préfectures qui a pour but de déployer sur l’ensemble du territoire des formations et sensibilisations des entreprises autour de la question de la radicalisation. Le comité précise que « la formation dispensée à partir de ce kit vise à répondre aux besoins de compréhension du phénomène de radicalisation et d’accompagnement sur les démarches et mesures à effectuer pour y répondre dans le milieu professionnel ». 

Dans le secteur public, et sans prétendre non plus à l’exhaustivité, on peut mentionner la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme qui a donné à certaines administrations des outils pour lutter contre toute radicalisation en leur sein. Bien sûr tout s’opère sous le contrôle du juge.Rappelons qu’avant ce texte, la loi prévoyait déjàque les décisions de recrutement, d’affectation, de titularisation, d’autorisation, d’agrément ou d’habilitation, concernant un certain nombre d’emplois « stratégiques » (emplois publics participant à l’exercice des missions de souveraineté de l’État, emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la défense, …) pouvaient être précédées d’enquêtes administratives vérifiant que le comportement des personnes intéressées n’était pas incompatible avec les fonctions envisagées. Cette loi dite « SILT » est venue ajouter à ce dispositif la possibilité de mener des enquêtes administratives pour des personnes déjà en poste.Lorsque l’enquête fait apparaître que le comportement de la personne bénéficiant d’une décision d’autorisation, d’agrément ou d’habilitation est devenu incompatible avec le maintien de cette décision, il doit en effet être procédé à son retrait ou à son abrogation. En cas d’urgence, l’autorisation, l’agrément ou l’habilitation peuvent même être suspendus sans délai pendant le temps nécessaire à la conduite de la procédure.

A côté de ces dispositifs, on peut enfin ajouter que chaque métier dispose de ces propres solutions. Par exemple, Pour se séparer d’une personne radicalisée, la gendarmerie a fait savoir récemment à des parlementaires venus l’interroger qu’elle dispose d’un arsenal juridique qui lui paraît aujourd’hui suffisant, allant du non-renouvellement de contrat à la radiation des cadres, en passant par les différentes sanctions disciplinaires existantes. La police nationale disposerait quant à elle d’une panoplie d’outils dont le report, puis le refus, de titularisation ; le non-renouvellement du contrat d’adjoint de sécurité ; l’adaptation du poste de travail (non armé, sans possibilité de consulter les fichiers de police) ; les sanctions disciplinaires (avertissement, blâme, exclusion temporaire, révocation, …) ; le retrait de l’habilitation au secret défense ; la procédure spécifique de radiation prévue à l’article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure…D’après les informations fournies par le ministère de l’Intérieur aux mêmes parlementaires, six révocations (prononcées dans le cadre disciplinaire) auraient été prononcées en lien avec des faits de radicalisation. A noter toutefois que ce n’est pas la radicalisation en tant que telle qui motiverait la révocation (tout comme les autres sanctions disciplinaires), mais ce sont les manquements au devoir de neutralité (prosélytisme), à l’obligation de loyauté, au devoir d’exemplarité, au devoir de réserve (en dehors du service) ainsi que les atteintes au bon fonctionnement du service dont ils peuvent être la cause. A noter également qu’un arrêté de révocation du ministre de l’Intérieur du 6 septembre 2018 révoquant un individu de ses fonctions de brigadier de police a été suspendu par la voie d’un référé-liberté en attente de la décision au fond. Un second recours contre un arrêté de révocation a été rejeté par la juridiction administrative. La justice administrative peut donc très bien, en cas d’excès, entraver l’application de ces différents dispositifs.

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