Entretien

L’IPJ fait un premier bilan de l’action de Nicole Belloubet dans Valeurs Actuelles

Interrogé par Valeurs Actuelles, Guillaume Jeanson, porte-parole de l’Institut pour la Justice, analyse les six premiers mois d'action du ministre de la Justice, Nicole Belloubet. Un premier semestre prometteur, qui doit déboucher sur une année 2018 marquée du sceau de l'action concrète.

Publication
26 décembre 2017
Durée de lecture
5 minutes
Média
Valeurs Actuelles

Depuis la nomination puis l’éviction de François Bayrou et son remplacement par Nicole Belloubet, on a l’impression qu’il ne s’est absolument rien passé sur le front de la justice. On se trompe ?

Devant l’ampleur de la situation, il est normal que l’impatience soit de règle. Mais la réalité mérite sans doute d’être nuancée. Mobilisée cet été sur la loi pour la confiance dans la vie politique dont le débat avait coûté son poste à son prédécesseur, Nicole Belloubet brille, il est vrai, plus pour l’heure par ses annonces que par ses accomplissements. Il est tout de même rassurant de la voir s’inscrire plutôt dans la continuité du pragmatisme de Jean-Jacques Urvoas que dans celle de Christiane Taubira.

Au nombre de ses annonces importantes, soulignons celle du 6 octobre dernier ouvrant les fameux « chantiers de la justice » censés aboutir à une grande réforme de la justice au printemps prochain. Plusieurs personnalités ont ainsi été chargées par ses soins d’examiner les axes suivants : « la transformation numérique », « l’amélioration et la simplification de la procédure pénale », « l’amélioration et la simplification de la procédure civile », « l’adaptation et l’organisation judiciaire » et enfin « le sens et l’efficacité des peines ». Leurs conclusions sont attendues pour le 15 janvier.

Cette impression de discrétion est-elle une conséquence indirecte des attentats, qui ont mis le terrorisme sur le devant de la scène et provoqué une focalisation de l’attention sur la question de la sécurité intérieure ?

Le terrorisme sature en effet l’espace politique car il constitue désormais la première préoccupation des Français. La dernière enquête annuelle de victimisation de l’ONDRP et de l’INSEE publiée le 7 décembre dernier vient de le confirmer. La sortie de l’état d’urgence ainsi que la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme promulguée le 30 octobre 2017 ont focalisé l’attention sur le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb.

Coïncidence ou pas, Nicole Belloubet a toutefois multiplié ces derniers jours les annonces sur le thème du terrorisme : le 18 décembre, elle a ainsi promis la création prochaine d’un parquet national anti-terroriste. Ce qui n’a pas manqué d’être fustigé par plusieurs syndicats de magistrats. Elle entend également « mettre en place un cycle de lutte antiterroriste », au sein de l’École nationale de la magistrature et « clarifier les attributions du juge pénal et du juge civil » pour les victimes du terrorisme. Sur ce terrain aussi, 2017 aura été l’année de l’annonce. Espérons que 2018 sera celle de l’action.

Le terrorisme, justement : l’Institut pour la Justice a souvent pointé du doigt la porosité entre droit commun, récidive et risque terroriste – la dernière fois à l’occasion du double meurtre de Marseille. La législation a-t-elle évolué sur cette question ?

La plupart des terroristes de Daech qui ont frappé notre sol étaient connus de la justice. Ils étaient, avant d’être des djihadistes, des délinquants polymorphes ou d’habitude. Si tous ne deviennent évidemment pas des terroristes, la porosité n’en est pas moins évidente. Le drame de Marseille que vous évoquez est presque plus explosif encore. Car il mêle directement aux questions de terrorisme et de justice, celle de l’efficacité de notre réglementation des étrangers. Face à ces défis, le pouvoir tente de réagir. Mais les résistances sont importantes. Ces derniers jours en témoignent. Nombreux sont ceux qui ont pu mesurer l’accueil hostile rencontré par le texte sur l’immigration et l’asile présenté par Gérard Collomb. Rares sont ceux qui ont en revanche relevé cette seconde censure du Conseil constitutionnel de ce texte voté pour interdire la consultation de sites internet susceptibles de transformer des délinquants violents en apprentis terroristes.

Cette porosité doit impérativement conduire la justice à privilégier des sanctions concrètes pour les infractions les moins graves afin de détourner ceux qui peuvent encore l’être d’un itinéraire délinquant, terreau privilégié du terrorisme. La création annoncée d’une agence nationale destiné à développer les travaux d’intérêt général pourrait, en ce sens, constituer un signal encourageant. Cette porosité doit aussi inciter à agir en profondeur dans le domaine pénitentiaire.

Si l’on reprend les maux principaux qui affectent la justice française, où en est-on du côté des moyens attribués à l’administration judiciaire ?

De ce côté, un effort a incontestablement été consenti. Le budget 2018 de la justice prévoit en effet une hausse de 3,9% des crédits. Cela le porte à 6,98 milliards (hors dépenses réservées aux pensions) et 7,11 milliards d’euros au total. Cette hausse devrait permettre la création de 1 000 postes, une hausse de 9,9% des crédits de fonctionnement pour les juridictions et une hausse de 38,8 % des crédits immobiliers. Dans un contexte de baisse des moyens pour la plupart des ministères, cette hausse est évidemment méritoire.

Elle risque cependant de ne pas être suffisante si l’on ne repense pas aussi l’organisation de la justice. Est-il par exemple normal de payer un deuxième juge dit « d’application des peines » pour modifier une peine prononcée par un premier juge, avant même que cette peine ne soit mise à exécution ? Est-il normal de ne pas circonscrire le périmètre d’intervention des juges des enfants alors que la cour des comptes relève depuis 2014 qu’une bonne part de leur activité pourrait tout aussi bien être confiée aux départements ? On pourrait multiplier les exemples, sans même parler de la pénitentiaire qui, tout en relevant du ministère de la justice, en cannibalise les finances.

Quid précisément de l’extension du parc carcéral ?

De ce côté aussi, un effort a été consenti. Mais c’est un peu plus laborieux. Pour mémoire, Emmanuel Macron avait initialement promis la création de 15 000 nouvelles places de prison en cinq ans. La Chancellerie a cependant précisé mi-novembre que la réalisation de ces programmes interviendrait finalement sur deux quinquennats. La situation se dégrade pourtant vite derrière les murs. Avec 59 165 places opérationnelles pour 69 714 détenus, on compte au 1er décembre 14 405 détenus en surnombre (puisque 3 856 places demeurent, pour diverses raisons, inoccupées).

Le coût important de ces opérations avait conduit par le passé l’État à recourir à des partenariats public-privé. Problème : cette technique est aujourd’hui très critiquée par la Cour des comptes qui a rendu un rapport le 13 décembre sur le sujet. Nicole Belloubet y a répondu en déclarant ne pas entendre y recourir et en annonçant pour 2018 une loi quinquennale de programmation des moyens de la justice.

Autre point noir : l’inexécution des peines et les délais excessifs de procédure – qui découlent en partie des points précédents ?

On estime encore à près de 100 000 le nombre de peines de prison ferme en attente d’exécution. Des peines souvent mises à exécution de longs mois après leur prononcé, ce qui est incompréhensible pour les justiciables et catastrophique pour la crédibilité de l’institution judiciaire. Les délais excessifs de procédure conduisent, quant à eux, à rechercher des solutions tant du côté de la modernisation que du désengorgement des juridictions.

L’une des voies envisagées est par exemple la forfaitisation de certaines infractions. Ce mouvement s’inscrit dans ce que Jean-Jacques Urvoas avait fait l’année dernière pour les infractions de conduite sans permis et sans assurance. Des infractions qui peuvent désormais être sanctionnées, sans recourir à un juge, par le biais d’une amende forfaitaire délictuelle d’un montant assez conséquent. D’autres infractions sont en ce moment à l’étude, à l’instar de l’usage de drogue pour lequel j’étais auditionné aux côtés de Serge Lebigot, président de l’association Parents Contre la Drogue, devant une mission d’information de l’Assemblée nationale en octobre dernier.

Pour les prisons, le lien entre la Justice et l’Intérieur, dans le dossier de la radicalisation des détenus, s’est-il renforcé ?

C’est en effet l’impression que donne Nicole Belloubet qui, loin de l’hostilité affichée en son temps par Christiane Taubira, a récemment déclaré vouloir « faire monter en puissance le renseignement pénitentiaire ». La ministre a par ailleurs annoncé la création de trois nouveaux quartiers d’évaluation de la radicalisation en prison, en plus des trois déjà existants. L’objectif affiché est de « prendre en compte les détenus en dehors de la région parisienne, qui concentre 60% des écrous terroristes ».

La garde des Sceaux souhaite également adapter le régime de détention au profil du détenu, ce que nous appelions de nos vœux depuis longtemps. La création de deux nouveaux quartiers de regroupement de détenus radicalisés est à cette fin annoncée pour 2018, alors qu’il n’en existe qu’un seul aujourd’hui, au centre pénitentiaire de Lille-Annœullin. Enfin, les programmes actuellement mis en œuvre dans 27 établissements d’accueil des détenus terroristes devraient bientôt être étendus à plus de 80 établissements.

Le droit des victimes est l’un des combats majeurs de l’IPJ. Avez-vous pu en discuter avec Nicole Belloubet ?

Contrairement à son prédécesseur, François Bayrou, qui s’était engagé devant l’IPJ en faveur du droit des victimes et en particulier pour que leur soit octroyé un droit d’appel qui ne serait plus cantonné à leurs seuls intérêts civils dans les affaires pénales, nous n’avons pas encore eu le loisir d’en discuter avec elle, bien que nous lui ayons écrit. Le droit des victimes reste, comme vous le remarquez, un des combats majeurs de l’IPJ. Nous avions pu d’ailleurs en discuter au printemps dernier avec Juliette Méadel, l’ancienne secrétaire d’État chargée des victimes, et nous poursuivons actuellement nos échanges avec les parlementaires.

A la rentrée, nous avons adressé bon nombre de nos travaux aux nouveaux parlementaires de la commission des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat et amorcé ensuite un nouveau cycle de rencontres parlementaires. Il nous a alors été dit que l’IPJ serait auditionné par l’Assemblée lors des travaux du printemps sur la grande réforme de la justice. Dans cette perspective, nous avons donc confié ces dernières semaines à certains de nos experts, professeur de droit et anciens hauts-magistrats, des thèmes d’études et espérons ainsi que nous pourrons enrichir la réforme à venir de nos réflexions.

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