Tribune

Permission de sortie : l’Institut pour la Justice réagit aux événements de Moirans

Jean-Claude Magendie, premier président honoraire de la cour d'appel de Paris et expert associé de l'Institut pour la Justice, réagit aux événements de Moirans dans l'édition du 29 octobre du Figaro. Le refus d'accorder une permission de sortie à une personne issue de la communauté des gens du voyage avait provoqué des scènes de violences perpétrées par ses proches.

Publication
30 octobre 2015
Durée de lecture
2 minutes
Média
Le Figaro

L’apathie des autorités publiques

Les récents actes de violence commis par les gens de la communauté du voyage à Moirans conduisent à s’interroger sur la gestion de ces événements par les pouvoirs publics, spécialement au regard du rôle dévolu à la loi pénale et à la justice qui met en œuvre une société démocratique.

Qu’a-t-on vu à Moirans ? Des gens, en réaction au refus opposé par le juge de l’application des peines à la demande d’une permission de sortie formée par l’un des leurs, se livrer à des actes d’une gravité extrême : blocage de route, incendies de véhicules, saccage d’un quartier. Quelques mois plus tôt, des faits de même nature avaient été commis sur l’autoroute A1.

À l’évidence, de tels comportements auraient dû appeler une réponse pénale ferme et immédiate. Or, il n’en a rien été : la cessation ponctuelle du désordre a été privilégiée au détriment de la réponse judiciaire. Il n’a été procédé à aucune interpellation, alors pourtant que les textes sur le délit flagrant permettaient d’appréhender les auteurs, et de les déférer sur-le-champ à la justice, étant précisé que le principe de l’opportunité des poursuites, qui laisse au parquet l’appréciation de la mise en œuvre de l’action publique, n’a été évoquée par quiconque.

Une impunité qui nourrit un sentiment d’injustice

L’absence de répression de tels actes laisse le citoyen désemparé. S’instille dans l’opinion publique le sentiment délétère de l’impuissance de l’État et de l’injustice résultant de l’impunité d’agissements qui révoltent la conscience.

Nos sociétés contemporaines voient ainsi se développer depuis quelques décennies la « soft law », que l’on traduit en français par « droit mou » ou « droit souple ». Cette soft law s’oppose au droit dur en ce qu’elle prescrit ou recommande un comportement sans le rendre expressément obligatoire ; c’est pourquoi elle est critiquée, tant au regard des incertitudes qu’elle suscite quant à ses effets juridiques que l’affaiblissement de la loi qui en résulte.

A l’opposé, la loi pénale constitue la norme par excellence ; poser une obligation juridiquement sanctionnée traduit son essence même, car les incriminations pénales consacrent en creux les valeurs qui fondent notre société, la peine venant en sanctionner la transgression. Son caractère normatif, les atteintes aux libertés dont elle est porteuse expliquent d’ailleurs les principes qui fondent notre droit pénal libéral, soucieux de concilier la défense de la société et les droits de l’individu, qu’il s’agisse du principe de légalité des délits et des peines ou du principe d’interprétation stricte de la loi pénale.

La loi pénale semble glisser vers la soft law

Bien que de nature opposée, de façon radicale et irréductible, la loi pénale semble glisser vers la soft law.

La norme pénale, en apparaissant aléatoire dans son application et donc de nature contingente, tombe du piédestal où nos sociétés démocratiques l’avaient placée en lui conférant une mission d’affirmation d’un ordre moral transcendant.

La frontière entre le bien et le mal, entre le permis et l’interdit qu’elle traçait s’estompe ; les fonctions classiques d’intimidation et d’exemplarité du droit pénal s’en trouvent atteintes, la cohésion sociale cimentée par des croyances communes qu’il garantit et protège s’en trouve dangereusement affaiblie, tout comme la confiance dans les institutions.

Le caractère aléatoire des poursuites crée un risque majeur de rupture d’égalité des citoyens devant la loi pénale ; il introduit l’incertitude là où la loi pénale tire sa force du caractère inéluctable de la sanction qui résulte de sa violation.

C’est pourquoi ces affaires, qui ne sont que des exemples parmi de multiples cas où un apparent ordre public a été rétabli, ne sauraient être réduites à des faits divers ni davantage à des controverses politiciennes ; bien au-delà, elles posent clairement la question, politique au sens le plus noble du terme, de la volonté ou de la capacité de l’État à s’assumer la première de ses fonctions régaliennes qu’est la fonction de justice. La dérive du droit pénal vers la soft law mène à l’anarchie qui est le terreau de prédilection des démagogues.

Télécharger ici la tribune de Jean-Claude Magendie publiée dans le Figaro

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