Tribune

Pierre-Marie Sève: «L’augmentation de la criminalité oblige à repenser le cadre de la légitime défense»

Ce samedi 4 juin, trois policiers ont été placés en garde à vue puis libérés, après avoir ouvert le feu sur une voiture en fuite, causant la mort d'une passagère. Pour Pierre-Marie Sève, la législation doit être adaptée à la nouvelle réalité de délinquance en France.

Publication
10 juin 2022
Durée de lecture
2 minutes
Média
FigaroVox

Légitime défense :

«L’augmentation de la criminalité oblige à repenser le cadre de la légitime défense»

FIGAROVOX. – Samedi 4 juin, lors d’une course-poursuite après un refus d’obtempérer en plein Paris, trois policiers ont ouvert le feu sur une voiture, causant la mort d’une passagère. Ils ont été placés en garde à vue et libérés cet après-midi. Comment trouver un équilibre entre une police non-armée, qui ne fait plus pleur, comme ça a longtemps été le cas en France, et une police «cow-boy», que l’on retrouve parfois aux États-Unis ?

Pierre-Marie SÈVE. – Il est en effet indispensable de trouver un équilibre entre deux extrêmes: entre une police désarmée matériellement et juridiquement, et une police cow-boy débridée, voire totalitaire. Cet équilibre varie selon l’état de la délinquance que la police a à traiter.

Aux États-Unis, la législation très libérale en matière d’armes à feu, associée à une culture plutôt violente, et ce, de longue date, rend tout à fait logique que le cadre d’usage de ces armes par les policiers soit libéral. Une bavure est vite arrivée car les criminels ont des armes et ont souvent la gâchette facile.

En France, si nous avons une culture plus restrictive sur les armes à feu, c’est parce que la France a longtemps été un pays pacifique, ce que nous pourrions presque oublier aujourd’hui. Jusqu’aux années 1960, la France était un pays particulièrement calme et il y avait très peu de délinquance. En revanche, entre le début des années 1970 et aujourd’hui, le taux de criminalité général a été multiplié par cinq et, entre la fin des années 1980 et aujourd’hui, le nombre de coups et blessures a été multiplié par sept. En France, la réalité de la délinquance et de la violence a changé, ce qui demande, en conséquence, une adaptation de la législation concernant les premiers concernés face à la délinquance: les policiers. L’augmentation de la violence et de la criminalité oblige à ouvrir le cadre de la légitime défense.

Si la France était restée un pays calme et pacifique, nous n’aurions pas cette discussion. Aujourd’hui, elle s’impose. On peut le déplorer, mais cela n’enlève rien à son importance.

« Oui, un certain nombre de juges sont trop complaisants avec les délinquants, mais il faut régler ce problème de manière générale, pas uniquement pour les policiers. » Pierre-Marie Sève

Plutôt que la présomption de légitime défense, est-ce qu’il ne faudrait pas une juridiction spécialisée ? Comment pourrait-elle se caractériser ?

Non, je suis persuadé qu’une juridiction spécialisée n’aurait que très peu d’intérêt. En pratique, c’est certainement très difficile à mettre en place et il s’agit essentiellement d’une mesure court-termiste. L’objectif de cette mesure est de contourner les juges considérés comme trop complaisants avec les délinquants. Certes, c’est certainement vrai, mais cela concerne tous les citoyens, pas seulement les policiers. Oui, un certain nombre de juges sont trop complaisants avec les délinquants, mais il faut régler ce problème de manière générale, pas uniquement pour les policiers.

Que dit actuellement la loi ?

Actuellement, le cadre de la légitime défense requiert trois conditions: si un policier, un commerçant braqué, ou un citoyen lambda cambriolé fait usage d’une arme à feu, il sera placé en garde à vue le temps de l’enquête, puis il devra prouver que son acte était un acte de défense, et qui plus, un acte légitime. Pour ce faire, il doit prouver que son acte de défense était concomitant à l’attaque, nécessaire pour se défendre et proportionné à l’attaque reçue.

Par ailleurs, il existe une présomption de légitime défense restrictive dans les textes, et encore plus restrictive dans son application. Elle concerne, en effet, la personne qui s’est défendue à son domicile de nuit lors d’une effraction.

« La présomption de légitime défense pour les policiers permettrait d’inverser la charge de la preuve. » Pierre-Marie Sève

Ce cadre actuel peut faire naître beaucoup de situations aberrantes. Par exemple, l’affaire du bijoutier de Nice, Stéphane Turk, qui avait tiré dans le dos d’un cambrioleur en fuite, alors qu’il avait été violemment braqué puis frappé. Ce bijoutier a été reconnu coupable de violences volontaires avec arme ayant entraîné la mort. Encore récemment, un agriculteur de Charente, a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire pour avoir tiré sur un cambrioleur de nuit. Il est, encore aujourd’hui, interdit de domicile.

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