Tribune

Pour lutter contre le terrorisme, il est indispensable de réformer nos prisons

La nouvelle tentative d'attentat sur des policiers sur les Champs-Élysées interroge la fiabilité des mesures de protection des forces de l'ordre. Dans cette tribune publié sur Figarovox, Guillaume Jeanson, avocat au barreau de Paris et porte-parole de l'Institut pour la Justice, analyse les justifications de l'état d'urgence et appelle à la création d'un mode de détention propre aux terroristes.

Publication
20 juin 2017
Durée de lecture
3 minutes
Média
Figarovox

Une nouvelle fois hier on a frôlé le drame. Un attentat à la voiture piégée a, fort heureusement, tourné au fiasco. L’individu semblait pourtant déterminé et lourdement armé. Encore une fois il s’agissait d’un Fiché S, encore une fois les forces de l’ordre étaient ciblées, encore une fois le lieu était soigneusement choisi: et, deux mois seulement après l’assassinat de Xavier Jugelé, il devient de plus en plus difficile de l’appeler «la plus belle avenue du monde».

De nombreux médias l’ont pointé et le Premier ministre s’en est d’ailleurs ému -non sans chercher à le justifier-, ce qui inquiète légitimement ici, c’est que cet islamiste, identifié depuis 2015, se serait vu renouveler, il y a quelques mois seulement, son permis de détenir au moins trois armes. Un permis semble-t-il précieux, si l’on relève qu’en plus de la kalachnikov et du Glock 26 retrouvés près de sa dépouille, il disposait également d’un Sig Sauer, l’arme utilisée par les forces de l’ordre, de trois carabines et de deux fusils de chasse. Ce qui inquiète également, c’est qu’à en croire son propre père, «il s’entraînait au tir» paisiblement «avec son arme déclarée».

À quoi sert donc l’état d’urgence? À quoi servent toutes les mesures votées ces deux dernières années à l’occasion des lois portant sur le terrorisme, si un islamiste fiché S peut, en toute légalité, se constituer dans notre pays un arsenal puis s’entraîner au tir jusqu’au moment qui lui semblera opportun de franchir le Rubicon?

Comme chacun le sait, dans un long message audio diffusé en septembre 2014 par Al Furqan, le principal média de l’EI, son porte-parole officiel, le syrien Abou Mohammed Al-Adnani avait exhorté ses partisans à passer à l’action dans leurs pays d’origine contre les policiers et militaires des pays de la coalition engagés dans la lutte contre l’organisation, en Syrie et en Irak: «Levez-vous, monothéistes, et défendez votre État depuis votre lieu de résidence, où qu’il soit (…) Attaquez les soldats des tyrans, leurs forces de police et de sécurité, leurs services de renseignements et leurs collaborateurs».

Si l’on s’arrête un instant pour dénombrer grossièrement le nombre d’attentats perpétrés en France contre les forces de l’ordre, on ne manque pas de relever une accélération préoccupante: de 2012 à 2014, on en comptait près d’un par an. De 2015 à 2016, on en comptait déjà près du double. Cette année, à la troisième semaine de juin, nous en sommes déjà à quatre.

Le 13 juin dernier, Patrice Ribeiro, secrétaire général de Synergie Officiers prévenait «nous savons que cela va monter en puissance car à côté des réseaux terroristes structurés on a de plus en plus de «lumpen-terroristes» qui vont choisir des cibles de proximité et dont beaucoup, ayant des parcours délinquants, haïssent la police».

Certes du côté de la place Beauvau, on semble à peu près l’entendre. Lors de la commémoration anniversaire du sinistre attentat de Magnanville, Gérard Collomb a en effet tenté de rassurer les policiers en assurant que les mesures annoncées par son prédécesseur telles que l’anonymisation des policiers dans les procédures judiciaires ainsi que l’autorisation de porter l’arme de service en dehors des heures du service seraient maintenues, voire même s’il le fallait, accentuées.

Mais du côté de la Place Vendôme, d’autres signaux ne laissent pas d’inquiéter. Pourquoi toucher au Secrétariat général d’aide aux victimes? Celui-ci, salué par les associations de victimes, pérennisait pourtant l’action menée par Juliette Méadel pour les victimes d’attentats et avait d’ailleurs été appelé de ses vœux par les parlementaires de la commission d’enquête sur les attentats de Charlie Hebdo et du 13 novembre 2015. Pourquoi s’enliser, en pleine chasse aux sorcières périlleuse -depuis qu’elle semble répondre à une forme d’effet boomerang- dans un texte ambitionnant, par des mesures pléthoriques, de moraliser la vie publique de nos édiles, alors qu’ailleurs la situation est explosive?

Les chantiers qui attendent le garde des Sceaux sont légion. À commencer par la sempiternelle question des prisons. Elle n’est pas loin en réalité de celle du terrorisme. Ceux qui en doutent seraient avisés d’aller se promener sur le site internet anonyme «Actu Pénitentiaire» qui a bénéficié en fin de semaine dernière d’une publicité inédite de la part d’un article du Figaro signé de Paule Gonzalès.

Outre les multiples agressions de surveillants et les diverses mutineries quasi-hebdomadaires, on y apprend ainsi aujourd’hui qu’une fouille générale aurait été opérée ces dernières semaines dans le quartier d’isolement de la maison d’arrêt de Corbas. Un détenu ayant récupéré par hasard un colis aurait en effet prévenu le personnel de la prison de son contenu effrayant: «Le paquet cachait des liens en plastique, deux couteaux et un texte faisant allusion à l’Etat islamique. Tout le nécessaire pour organiser un attentat au sein de la prison, soit une prise d’otage suivie d’une exécution.» Les soupçons se porteraient sur un individu connu pour avoir tenté d’intégrer le commando des attentats du 13 novembre 2015, incarcéré dans cette prison depuis son transfert d’Autriche l’été dernier.

Si l’on veut éviter une catastrophe en prison, il est urgent d’adapter la détention à la spécificité du risque terroriste. Les Italiens disposent à cet égard d’un régime de détention spécifique appelé «41bis», depuis le numéro d’article y faisant référence dans leur loi pénitentiaire. Il s’agit d’un isolement particulier développé à la fin du siècle dernier, peu après l’assassinat du juge Falcone, pour les parrains mafieux. Ce régime sévère s’applique également aujourd’hui aux détenus radicalisés les plus durs. Bien que saisie à plusieurs reprises, la CEDH n’a jamais invalidé ce dispositif. Rappelons qu’au 1er juin, on compte en France 69.502 détenus (contre 68.542 l’année dernière) pour 59.118 places opérationnelles. Pour envisager la mise en place d’un dispositif analogue à celui-ci, il faut impérativement commencer par construire de toute urgence des places de prisons.

Non, la guerre contre le terrorisme n’est pas finie. Avec cynisme on pourrait même prédire «qu’elle a encore de beaux jours devant elle». Devant cette réalité, le risque de résignation n’est jamais loin. Au sujet de l’attentat de Manchester, Pascal Brukner qui appelle avec raison à une réponse également idéologique et culturelle au terrorisme islamique, déclarait que «l’abomination a cessé de nous surprendre et s’est intégrée dans la routine». C’est exact, mais même juridiquement et matériellement, il nous faut résister. Et apprendre à le faire dans la durée. Sans oublier que le rapport au temps du matérialiste occidental diffère parfois sensiblement de celui du croyant fanatisé.

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