Décryptage

Primaire de la gauche : l’IPJ réagit à l’absence de l’insécurité dans les programmes

Selon une étude produite par Le Figaro, la violence est en augmentation de 4% en 2016 en France. Atlantico a interrogé Guillaume Jeanson, porte-parole de l'Institut pour la Justice et avocat au barreau de Paris, sur le fait que cette augmentation ne semble pas convaincre les candidats à la primaire de la gauche d'aborder ce thème qui touche de manière quotidienne les citoyens français pour lui préférer la lutte contre le terrorisme.

Publication
4 janvier 2017
Durée de lecture
4 minutes
Média
Atlantico

Une inquiétante étude produite par Le Figaro montre que les actes de violence en France ont augmenté de 4% par rapport à l’année dernière et que les atteintes aux biens stagnent à un niveau élevé. Pourquoi ces types de crimes et délits semblent absents dans les thèmes de campagnes des candidats de gauche ?

Il est étonnant en effet de relever l’attention lacunaire portée -du moins dans les premières esquisses des programmes des candidats à la primaire de la gauche- à ces types de crimes et délits. Car cet accroissement de la violence nous apparaît réellement préoccupant. Nous avions déjà eu le loisir il y a quelques semaines, (lors de la parution de la dernière étude de victimation de l’ONDRP), de le préciser alors que de trop nombreux médias et analystes restaient polarisés uniquement sur ce sur quoi, semble-t-il, on voulait qu’ils se concentrent : la baisse de 1,6 point du sentiment d’insécurité entre 2015 et 2016. Alors que, pour mémoire, si l’on faisait l’effort de regarder attentivement cette même étude, il apparaissait dans le même temps une augmentation des vols commis avec violences ainsi que des violences physiques commises hors ménage au détriment des femmes. Des informations qui nous semblaient suffisantes pour tempérer tout excès d’optimisme.

Si par exemple on lit le « projet pour la France » de Manuel Valls en ses pages 17 et 18, on note immédiatement que le terrorisme et la cybercriminalité semblent davantage intéresser ce dernier que le thème de la violence. La sécurité – associée le plus souvent à la violence – a toujours été un thème difficile à traiter pour les élus de gauche. Ce thème est traditionnellement perçu comme étant davantage l’apanage de la droite. Il est piquant à cet égard de rappeler que, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2012, d’aucuns à gauche, promis par la suite à de beaux ministères, avaient eu beau jeu de se réapproprier ces thématiques afin de tenter (en souvenir de l’élection présidentielle de 2007) de les réintégrer dans le giron de la gauche. Pour la seule année 2011, Manuel Valls avait ainsi publié un livre sobrement intitulé : « sécurité : la gauche peut tout changer » et Jean-Jacques Urvoas, notre actuel Garde des Sceaux, un livre intitulé : « 11 propositions chocs pour rétablir la sécurité ». Le mot sécurité était alors à l’honneur. Un quinquennat plus tard, les ténors de la gauche se font plus réservés ; l’actuel ministre de l’intérieur se risquant même à opter pour une comptabilisation nouvelle (masquant trop opportunément pour ne pas paraître suspecte) l’aggravation des flambées de véhicules -devenues tristement traditionnelles- de la Saint Sylvestre.

Autre élément de nature à en rendre perplexe plus d’un, selon les chiffres du ministère de la Justice, il y a eu 603.994 condamnations pénales en 2011. Ce chiffre est tombé à 573.320 en 2015. Une baisse qui concerne également les coups et violences volontaires sanctionnées 66.337 fois en 2011 et 61.323 en 2015. En somme, si les violences augmentent, ces chiffres laisseraient à penser qu’elles sont moins condamnées. Ce dernier constat devrait à lui seul justifier une plus forte mobilisation de ceux prétendant se soumettre aux suffrages des français.

On aurait presque l’impression que pour les candidats de gauche, il n’y a que le terrorisme en terme de question sécuritaire. Dans quelle mesure la gauche pourrait-elle ressentir un blocage sur les thèmes de la sécurité et de la délinquance ? Comment l’expliquer ?

Nous l’observons fréquemment. Hors récupérations suspectes d’électoralisme, il existe souvent un malaise, une difficulté à traiter des questions de sécurité pour un certain nombre d’élus de gauche. Cela s’explique par le fait que subsiste toujours dans la pensée de ces personnes l’idée suivant laquelle les délinquants visés par le code pénal ne seraient pas les seuls véritables responsables de leurs méfaits. Que leurs actes auraient une explication du fait de leur environnement social, de leur situation en marge de la société. On en trouve une trace dans le monde de la Justice avec l’héritage de l’école de la défense sociale nouvelle et l’influence foucaldienne. Cette pensée transparaissait aussi nettement dans le débat parlementaire à l’occasion de la réforme pénale de Christiane Taubira. Bien qu’il faille se méfier ici des caricatures, on pourrait être tenté de relever que lorsque ces thèmes sont cependant fortement réinvestis, ils le sont alors parfois à l’aune d’autres thématiques ardemment défendues par la gauche, telles que la lutte pour les droits des femmes.

Le terrorisme est quant à lui devenu une thématique incontournable pour les français. Il est devenu impensable de défendre sa candidature sans traiter de cette question sur laquelle les attentes sont grandes. L’un des autres enseignements majeurs de l’étude de l’ONDRP parue le mois dernier était en effet que si le sentiment d’insécurité à très légèrement baissé, la préoccupation des français pour le terrorisme a, quant à elle, littéralement explosé : 30,4 % des français interrogés désignent désormais « le terrorisme, les attentats » comme étant le « problème le plus préoccupant dans la société française actuelle », à égalité avec « le chômage, la précarité de l’emploi » (30,9 %). L’ONDRP expliquant alors que « Cette part du terrorisme a connu une hausse de plus de 12 points en un an » alors qu’elle « se situait à moins de 18 % en 2015 » là où, « Avant cette date, elle ne dépassait pas 5 %. »

Manuel Valls avait pourtant un net avantage sur ces questions du fait de sa position en tant que ministre de l’intérieur et de Premier ministre. Pourquoi ne pas se servir de cette position sur ces sujets contre ses opposants ?

On ferait tout aussi bien de s’interroger sur la réalité de ce prétendu « avantage » dont il disposerait pour asseoir sa candidature. Certes il a été ministre de l’intérieur puis Premier ministre. Chacun peut donc légitimement présumer de sa bonne connaissance de ces sujets. Pour autant, cela fait surtout de lui le seul candidat à avoir un bilan sur cette thématique. Un bilan qui, hélas, risque de ne pas apparaître aux yeux du plus grand nombre comme étant des plus reluisant. S’il a incontestablement agi, la fin de son action restera toutefois marquée notamment par cette grogne quasi-inédite des policiers. Si ses annonces de ce matin sauront à cet égard peut-être contenter certaines revendications syndicales, il est à craindre qu’elles ne suffisent cependant qu’imparfaitement à lutter efficacement contre la délinquance. Proposer comme il le fait une hausse des effectifs de 1000 policiers et gendarmes supplémentaires par an, ainsi que la création en 5 ans de 1000 postes de magistrats et de 1500 greffiers est certes indispensable. On ne voit pas très bien toutefois comment ils permettront de rétablir l’efficacité de la chaîne pénale si l’exécution des peines demeure aussi indigente.

A titre d’illustration, et sans vouloir nécessairement faire pour autant de la prison la seule issue possible de toutes procédures judiciaires, la promesse de création de 10.000 nouvelles places de prisons qui figure dans son programme, alors même qu’il en annonçait à l’automne dernier, avec Jean-Jacques Urvoas, une fourchette qui allait, elle, jusqu’à 17.000 places, nous laisse quelque peu dubitatif quand on sait qu’il en faudrait environ 30.000, compte tenu tant des nombreuses prisons saturées que du gigantesque stock tournant de dizaines de milliers de peines en attente d’exécution.

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