Extrait de l’interview de Me Guillaume Jeanson :
Atlantico : N’est-on pas aujourd’hui confronté à une logique de galvanisation et d’aguerrissement de certains leaders des Gilets jaunes, qui ferait suite à la réponse policière et judiciaire apportée au mouvement, et à ces personnes en particulier ? La réponse apportée par l’exécutif est-elle en ce sens réellement adaptée ?
Guillaume Jeanson : Pour qui s’essaie à fuir la caricature, appréhender le mouvement des gilets jaunes est devenu chose complexe. Ce mouvement est en effet polymorphe. Ses multiples voix sont parfois dissonantes. Les postures et comportements adoptés en son sein sont parfois extrêmement variés. Elles vont du plus pacifique au plus belliqueux. Vous questionnez légitimement les réponses policières et judiciaires. La justice, comme les forces de sécurité intérieure, tâchent, il me semble, de faire face à un mouvement dont le gigantisme influe nécessairement sur le cours normal de leurs pratiques. On parle beaucoup ces jours-ci de violences policières et de décisions de justice iniques. Le journal Libération a publié un article intitulé : « gilets jaunes : le décompte des blessés graves » et mon confrère Régis de Castelnau a pourfendu avec talent le « zèle des parquets déchaînés dans la répression de masse », « des interprétations de la loi répressive souvent audacieuses pour ne pas dire plus », déplorant qu’il ne s’agisse non plus là de justice mais « d’abattage ».
Tout usage illégitime et illégal de la force par les policiers est évidemment inacceptable et doit être fermement condamné. L’intensité de certaines blessures occasionnées lors d’usages légaux de la force mérite également que soit questionné le recours à certaines armes et tactiques. Mais veillons à ne pas salir non plus à tort, pour ces quelques cas déplorables et d’ailleurs signalés à l’IGPN, l’ensemble d’une institution déjà fortement soumise à rude épreuve. Du côté de la justice, la corde est particulièrement sensible. Et, là aussi, l’incompréhension du justiciable peut se muer en révolte. Elle peut nourrir le risque d’encourager, comme vous le suggérez, « une certaine galvanisation » et un certain « aguerrissement ». Si les simples personnes venues manifester pacifiquement pour faire entendre leur désespoir quant à l’effondrement de leurs conditions sociales mériteraient toute la mansuétude des juridictions ; si ceux qui ont commis des infractions de faible gravité mériteraient des réponses pénales « responsabilisantes » (c’est à dire non symboliques) et résolument tournées vers la réparation des dommages causés ; et si les professionnels de la casse et de la violence devraient, quant à eux, se heurter à une grande fermeté ; on observe hélas parfois dans la pratique une grande confusion qui est terriblement dommageable. Tant pour les justiciables que pour le crédit de l’institution toute entière. Est-ce que tout répond pour autant à un sinistre dessein fomenté par le pouvoir ? Là aussi, la réponse est complexe et c’est pourquoi je dirais : en partie seulement. En effet, face à ces grandes disparités de situations, on peut certes déplorer à l’instar de Régis de Castelnau, qu’il ne se trouve « aucun procureur dont la parole est libre à l’audience pour refuser les ordres de Belloubet ». On peut, tout autant, déplorer avec lui « les interventions permanentes de la place Vendôme voire de Matignon y compris des instructions individuelles pourtant interdites par la loi ». Ces dysfonctionnements sont scandaleux et doivent être dénoncés. Heureusement, certains s’y emploient brillamment. Il y a quelques jours Philippe Bilger critiquait lui aussi sur son blog le fait que les Gilets Jaunes « ont payé la rançon de leur animosité présidentielle. (…) Malgré les apparences on les craignait moins mais, comme ils paraissaient menacer l’Etat, on leur a fait subir un régime plus dur. » Comment dès lors pourrait-on juger « adaptée » cette réponse des autorités ?
Mais on ne peut pas non plus exclure totalement une autre réalité : dans de telles circonstances exceptionnelles, il est hélas aussi à peu près impossible, d’échapper au règne de l’« à peu près ». Ce qui, comme j’ai déjà eu le loisir de l’écrire, n’est jamais gage de bonne justice : procès-verbaux bâclés, des dossiers parfois très vides, et une grande disparité de traitement d’une chambre à l’autre. Avec à la clef, autant de drames d’audiences : erreurs judiciaires et victimisations secondaires. Autant d’autres dysfonctionnements, involontaires cette fois, mais qui ne manqueront jamais, bien sûr, d’être interprétés, de manière univoque, à l’aune d’une soumission rapidement prêtée du judiciaire à l’exécutif.