Tribune

Surpopulation carcérale: «L’État ne doit pas vider les prisons mais en construire de nouvelles»

Alors que la CEDH a condamné jeudi la France pour ses prisons surpeuplées, l'Institut pour la Justice, par la voix de son porte-parole Me Guillaume Jeanson, appelle à augmenter le nombre d’établissements afin que toutes les peines soient purgées dans un environnement adapté.

Publication
31 janvier 2020
Durée de lecture
3 minutes
Média
FigaroVox

Extrait de l’entretien de Me Guillaume Jeanson dans le FigaroVox

Saisie entre 2015 et 2017 par 32 détenus des prisons de Nice, Nîmes, Fresnes, Ducos (Martinique) et de Nuutania (Polynésie), la Cour européenne des droits de l’Homme vient de condamner la France pour la «surpopulation de ses prisons». Selon un communiqué de presse diffusé par la Cour, elle lui recommande d’«envisager l’adoption de mesures générales visant à supprimer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention».

Parler de « surpopulation  » n’est pas neutre.

La question de cet engorgement est réelle. Je la dénonce d’ailleurs vigoureusement depuis plus des années. Le poids des mots est en revanche important. Parler de «surpopulation» n’est pas neutre. Cela induit en effet que la France incarcère trop, alors qu’elle se situe pourtant nettement en dessous de la moyenne et de la médiane européenne. Il est donc plus juste de parler de «sous-capacité» carcérale. Car la France manque de places de prison. C’est une réalité qui, après avoir été contestée avec pugnacité pendant de longues années, fait désormais à peu près consensus dans la classe politique. Cela a pu notamment être mesuré à l’examen des programmes défendus par les candidats à la dernière élection présidentielle.

Pour en arriver à cette prise de conscience partagée, il a toutefois fallu hélas que la situation se dégrade considérablement. Car cette question est déjà ancienne. On en retrouve d’ailleurs la trace dans le Manuel de survie en milieu judiciaire de Jean-Philippe de Garate. Ce dernier rappelle en effet une très vieille citation qui remonte à l’ère miterrandienne et qu’il attribue au Garde des Sceaux de l’époque Robert Badinter: «Je ne serai pas le Vauban de la pénitentiaire» pour expliquer ce en quoi ce dernier rechignait à construire des prisons. L’auteur poursuit en précisant «d’autres s’en chargeront après lui» et ajoute à raison «sans jamais combler le retard pris».

Ce retard, la droite a déclaré vouloir le combler en mars 2012 en votant un plan de construction de 24 000 nouvelles places. Ce plan était méritoire et ambitieux. Il était toutefois tardif et son financement n’était pas assuré. À son arrivée au pouvoir, la gauche a supprimé ce plan. Christiane Taubira s’est alors évertuée à lutter contre la «surpopulation carcérale» en cherchant à réduire toujours plus les flux entrants (par la création de la «contrainte pénale») et en accroissant les flux sortants (par celle de la «libération sous contrainte»). Mais le nombre de détenus n’a cessé de croître.

À quelques mois des élections de 2017, le dernier garde des Sceaux du mandat de François Hollande, Jean-Jacques Urvoas, n’a donc eu d’autre choix que d’annoncer finalement un plan de construction de nouvelles cellules. Un plan qui, suivant l’estimation la plus haute, aurait pu aller jusqu’à la construction de 17 643 nouvelles places de prison. Cet ordre de grandeur fut repris les mois suivants dans le programme de plusieurs candidats. Ainsi, François Fillon et Emmanuel Macron promirent respectivement la création de 16 000 et 15 000 nouvelles places de prison.

La suite de l’histoire, nous n’avons eu de cesse de la dénoncer. Alors qu’au mois de juillet 2017, le Premier ministre Édouard Philippe assurait dans son discours de politique générale que le gouvernement tiendrait la promesse d’Emmanuel Macron de créer ces 15 000 places supplémentaires de prison sur le quinquennat, la Chancellerie dessinait déjà à l’automne un premier tour de passe-passe. Elle expliqua que cet engagement ne serait finalement tenu, non plus sur un, mais plutôt sur deux quinquennats. Devant la tiède réception de cette annonce, Emmanuel Macron chercha d’abord à temporiser. Lors de son discours de rentrée solennelle de la Cour de Cassation début 2018, il annonça un «plan pénitentiaire global» pour la fin du mois de février, rappelant ainsi son objectif de construire 15 000 places de prison supplémentaires sur le quinquennat. Mais voici qu’au mois de mars suivant, le Président expliqua cette fois, devant une École nationale d’administration Pénitentiaire stupéfaite que, bien que reprenant à son compte l’objectif de 15 000 places supplémentaires annoncés en octobre 2016 par le gouvernement précédent, il allait finalement se contenter de n’en construire que 7 000 sur le quinquennat. 7 000 places seulement. C’est-à-dire moins de la moitié de l’engagement qu’il avait pris. Et, comme si cela ne suffisait pas, à peine un an et demi après ce revirement, le Canard Enchainé révélait encore: «Matignon vient de faire savoir à la Chancellerie que, au lieu des 7 000 premières cellules promises pour 2022, il n’y en aurait que 5 000. Quant aux autres on verra plus tard». Le bilan de Nicole Belloubet risque donc, en cette matière, de n’avoir hélas plus grand-chose à envier à celui de Christiane Taubira.

Les derniers chiffres de l’administration pénitentiaire qui remontent au 1er octobre 2019 font pourtant état de 13 851 détenus en surnombre et de très nombreuses peines d’emprisonnement ferme qui attendent encore d’être exécutées. Ces efforts sont donc dramatiquement insuffisants. D’autant plus, si l’on songe à l’entrée en vigueur, le 24 mars prochain, de l’un des dispositifs les plus importants de la fameuse «loi de programmation pour la justice». Au-delà d’un quantum d’un an (contre deux aujourd’hui), les peines d’emprisonnement seront désormais exécutées, sans que le juge d’application des peines ne puisse les aménager avant leur mise à exécution. Cette réforme est certes nécessaire. Mais, si l’on n’accroît pas en urgence le nombre de places de prison disponibles, elle risque d’aggraver encore l’engorgement carcéral et donc… la «surpopulation».

Vider les prisons sans alternative sérieuse n’est en effet pas neutre sur l’évolution de la criminalité.

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