Atlantico.fr : En réponse à la profanation du cimetière juif de Westhoffen hier, Christophe Castaner a annoncé la création d’un « Office national de lutte contre la haine » « chargé de coordonner pour la gendarmerie nationale à la fois l’enquête pour que tous les moyens soient mobilisés, mais aussi l’ensemble des enquêtes sur les actes antisémites, antimusulmans, antichrétiens que nous connaissons sur notre territoire en zone gendarmerie. »
Ce genre d’annonces relève-t-il de l’amélioration du fonctionnement de la justice ou du gadget politique ?
Guillaume Jeanson : Il est sans doute trop tôt pour être catégorique. Pourquoi ? D’abord, parce que le ministre a fait savoir à certains de vos collègues qu’il s’inspirait d’une cellule mise en place par la gendarmerie nationale dans le Bas-Rhin, un département « particulièrement touché par ces actes » pour créer une structure similaire à « compétence nationale ». Si l’initiative vient du terrain, c’est peut-être que l’utilité en est réelle pour les gendarmes. Ce qui fonctionne toutefois efficacement de manière décentralisée fonctionnera-t-il nécessairement aussi bien de manière jacobine ? Ensuite, parce qu’à ce stade, le ministère de l’Intérieur n’a pas souhaité se prononcer sur la date de création, les modalités de fonctionnement et l’appellation exacte (une cellule, un office…) de cette nouvelle structure qui seront vraisemblablement arrêtées dans le cadre des travaux sur le « livre blanc » sur la sécurité intérieure.
Reste qu’en s’exprimant comme il l’a fait le 4 décembre, alors qu’il était en déplacement au cimetière juif de Westhoffen où 107 tombes ont été profanées dans la nuit du 2 au 3 décembre 2019, en disant « J’ai décidé ce matin (…) la création d’un office national de lutte contre la haine », Christophe Castaner ne peut que donner, il est vrai, l’impression assez grossière d’offrir une simple réponse politique tenant du gadget miracle face à l’injonction traditionnelle : celle de s’évertuer à soigner dans l’instant – « j’ai décidé ce matin » – les esprits légitimement échauffés par cette profanation honteuse. La sémantique choisie, celle qui consiste à « lutter contre la haine », fait par ailleurs écho à celle retenue il y a deux mois par Angela Merkel qui avait promis une « tolérance zéro » et s’était engagée à mieux « combattre la haine » après l’attaque du 9 octobre dernier contre la synagogue de Halle en Basse-Saxe. Une attaque qui pour mémoire avait causé deux morts, et ce, le jour de la célébration de la fête juive de Yom Kippour.
La glose sur la posture politique et les soupçons qu’elle suscite en termes d’objectifs court-termistes et purement électoralistes ne doit toutefois pas masquer une réalité vraiment inquiétante : la hausse significative des actes antisémites. La Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) a en effet fait savoir dans son « bilan 2018 des actes racistes, antisémites, antimusulmans et antichrétiens » qu’après deux années de baisse en 2016 et 2017, le nombre de faits à caractère antisémite avait augmenté de 74% en 2018. Ce phénomène ne touche hélas pas que la France. Puisque nous faisions référence à l’Allemagne, précisons que l’an dernier, les actes antisémites y ont augmenté de près de 20 % par rapport à 2017, selon les statistiques de la police. Le phénomène semble même avoir pris une importance telle que le souverain pontife a lui-même fait part, lors de son audience générale prononcée mercredi 13 novembre place Saint-Pierre, de sa préoccupation face à la hausse de l’antisémitisme dans le monde en condamnant avec force le retour de persécutions dont des personnes de confession juive font l’objet.
D’aucuns pourraient certes tenter de balayer cette réalité un peu vite en s’abritant derrière un autre phénomène plus global, une autre hausse bien réelle aussi, celle des tensions généralisées, pour tenter d’imaginer que les agressions frappent « de manière égalitaire » toutes les religions et communautés. Le 21 novembre 2019 à Villepinte, lors d’une conférence organisée dans le cadre du salon Milipol, le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, Pierre de Bousquet de Florian, n’avait en effet pas mâché ses mots en déclarant que « nous nous trouvons face à une dégradation des rapports sociaux (…) à une forme d’ensauvagement général de la société ». Mais ce serait oublier qu’à l’inverse de la dynamique associé aux actes antisémites, les autres faits à caractère raciste et xénophobe ont quant à eux accusé une baisse de 4,2 %. Les actes anti-musulmans auraient eux-mêmes atteint, cette année, leur plus bas niveau depuis 2010. Bien sûr, on ne peut que se réjouir de ces dernières baisses et nous ne sommes pas là pour compter les points. Mais il est important en revanche de ne pas minimiser non plus la gravité de la tendance actuelle et ciblée face à laquelle le pouvoir tente d’apporter une réponse.